Nous courons après, nous nous angoissons à son sujet quand il vient à manquer, nous nous réjouissons quand nous en avons... L’argent est pour beaucoup d’entre nous une préoccupation quotidienne, et un sujet parfois sensible car il touche à des questions telles que l’estime de soi, la reconnaissance sociale, ou la simple survie. Pas simple de s’y retrouver ! Que nous dit le bouddhisme à son propos ?
1. L’argent au service des êtres humains. Dans sa définition de base, l’argent n’est autre qu’un moyen d’échange, qui permet la transaction de biens et de services. Pourtant, on peut aisément constater, et même déplorer, la place prédominante de l’argent dans notre société – c’est “l’argent roi”.
Le philosophe bouddhiste Daisaku Ikeda aborde la question de l’argent en revenant à sa signification humaine et concrète. Il nous invite à ne pas perdre de vue que c’est ce que l’argent représente qui est la réelle source de valeur. Il écrit :
« [L’argent] est quelque chose de précieux, quel qu’en soit le montant. Bien entendu, on préfère gagner beaucoup, mais cent euros gagnés à la sueur de son front est un trésor, alors que ces mêmes cent euros acquis par des moyens illicites n’ont pas plus de valeur que des ordures. »
Ainsi, le bouddhisme, en tant que philosophie pragmatique, reconnaît sans hésitation l’importance de l’argent, tout en le replaçant dans un contexte plus large. L’argent est un moyen pour vivre, c’est vivre qui nous rend heureux.
En particulier, on ne devrait jamais utiliser la richesse comme critère de la vie humaine.
2. L’argent fait le bonheur… jusqu’à un certain point ! Nous avons tous besoin d’argent pour vivre, dans notre société. Pourtant, au-delà de la satisfaction de nos besoins fondamentaux (nourriture, vêtements, logement, etc.), en avoir davantage nous assure-t-il le bonheur ?
Selon une étude1 menée par deux économistes américains, un niveau de revenu plus élevé coïncide avec un plus grand sentiment de bonheur, mais jusqu’à un certain point seulement. A partir du seuil de 75 000 dollars par an (équivalent à 4 900 euros par mois), cela n’est plus vrai : toute augmentation du revenu n'amène ni surcroît de bonheur ni diminution du stress, mais est davantage liée à une quête de statut social.
« De nombreuses personnes se laissent gagner par l’idée que le seul but d’un travail est de gagner de l’argent, mais aussi que le bonheur c’est d’avoir de l’argent pour satisfaire ses désirs. Mais comme les désirs sont illimités, ils ne peuvent jamais être véritablement satisfaits. »
C’est là une des clés de la sagesse bouddhique, qui souligne que, si la satisfaction des désirs contribue dans une certaine mesure au bien-être, elle ne doit pas être confondue avec un bonheur authentique. Cette illusion si commune correspond, en bouddhisme, à l’avidité, l’un des Trois poisons2 inhérents à la vie, conduisant les êtres humains à souffrir.
Derrière la question de l’argent se cache donc une problématique plus profonde liée à l’idée que nous nous faisons du bonheur véritable et au sens que nous donnons à l’existence. Assainir notre rapport à l’argent passe donc nécessairement par l’approfondissement de ces questions essentielles.
3. Donner à l’argent sa juste place. Pour considérer et apprécier pleinement l’argent comme moyen de vivre, il faut donc se garder de tomber dans le piège de l’avidité – dont on peut dire qu’il revient à “fétichiser” l’argent – ou, à l’inverse, dans celui consistant à rejeter l’argent, à le négliger ou en rabaisser l’importance.
Au lieu de voir la richesse comme la cause du bonheur ou, au contraire, comme la “racine de tous les maux” sur Terre, le bouddhisme nous incite à observer notre cœur : quelle attitude avons-nous envers l’argent ? Comment le gagnons-nous et à quelles fins le dépensons-nous ? Il nous encourage à construire une vie forte, dotée de bonne fortune et de sagesse qui permettent, peu à peu, de développer un rapport sain et positif à l’argent.
En définitive, l’argent n’est ni bon ni mauvais en soi. Comme l’écrit Daisaku Ikeda :
« Selon son état de vie, on utilise l’argent de manière mal intentionnée ou à des fins positives. C’est votre cœur qui détermine tout. »
Plutôt que de renier les soucis et les désirs liés à l’argent, ils peuvent être utilisés comme une motivation pour mettre la foi bouddhique en action, transformer notre attitude intérieure et polir nos qualités humaines. Cette approche est caractéristique du bouddhisme de Nichiren.3 Aussi étonnant que cela puisse paraître, à travers cette démarche, l’argent – avec son lot de préoccupations – peut donc effectivement conduire au bonheur !
Les citations de ce texte sont tirées du livre de Daisaku Ikeda, Dialogues avec la jeunesse, tome 1, publié aux éditions Acep en 2021 (réédition), chapitre “Le travail”, pages 109 à 115.
- 1. ↑ Etude publiée en 2010 dans la revue scientifique PNAS. Sous la direction de Daniel Kahneman, Prix Nobel d'Economie en 2002, et son collègue Angus Deaton, cette étude porte sur le bien-être de 450.000 Américains interrogés en 2008 et en 2009 pour l'indice Gallup-Healthways.
- 2. ↑ Pour en savoir plus, lire l’article Les Trois poisons, la source du problème
- 3. ↑ Il s’agit du principe “Les désirs terrestres mènent à l’illumination”