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Le bouddhisme promet bonheur authentique en ce monde et dans les vies futures. Mais combien de défis, et lesquels, avant de transformer « un coeur assombri par les illusions en clair miroir qui reflète l'éveil », comme nous y enjoint Nichiren Daishonin ?

Etymologiquement, le mot « défi » est un terme féodal. Il signifie : résiliation de l'engagement de vassalité, ou « refus de foi » – la foi étant l'acte symbolique par lequel le vassal promettait fidélité à son suzerain. Il s'agissait d'une démarche courageuse, à travers laquelle un homme reprenait son autonomie. De ce fait, ce mot comporte l'idée de prise de risque, voire de contestation, de provocation et d'insolence : « Lancer des défis », « un défi au combat », etc.

Cette dimension peut faire oublier la dimension éminemment constructive du défi. C'est la raison pour laquelle l'idée de défi peut être source d'encouragement ou de découragement, selon l'état d'esprit dans lequel on se trouve.

Le sens du défi dans le bouddhisme

Le bouddha historique, Shakyamuni, a renoncé à devenir héritier du trône, parce qu'il s'était lancé le défi de trouver la voie qui libérerait l'humanité des quatre souffrances universelles : naissance, maladie, vieillesse et mort. Lors de son Eveil sous l'arbre bodhi, il a compris que ces quatre souffrances résultent de l'incapacité des êtres humains à se relier à la Loi universelle qui régit tous les phénomènes de l'univers, l'impermanence, et que vie et mort sont les deux aspects d'une même réalité, l'éternité de la vie. En d'autres termes, le petit ego de chacun inclut le grand Soi de la vie universelle.

Nichiren Daishonin, moine japonais du XIIIe siècle - époque où la société et le monde religieux étaient en proie aux troubles et à la confusion – a cherché de quelle façon permettre aux gens de parvenir à un bonheur authentique. Il a trouvé la réponse dans le Sûtra du Lotus, enseignement ultime de Shakyamuni, qui affirme que tous les êtres humains peuvent parvenir à la bouddhéité en cette vie-ci. « Nous, simples mortels, immergés de toute éternité dans les souffrances de la vie et de la mort, n'imaginions pas pouvoir, un jour, atteindre l'autre rive et parvenir à la bouddhéité. »1 Bien entendu, « atteindre l'autre rive » met en jeu la lutte éternelle entre les forces constructives du Bouddha et les forces destructrices. La victoire ne s'obtiendra donc pas sans relever de nombreux défis.

A chacun ses défis

Traverser l'Atlantique en solitaire n'aurait, a priori, aucune commune mesure avec le défi de ne plus être systématiquement en retard ou de vaincre une phobie comme la peur des araignées. Mais le jugement de valeur n'a pas lieu d'être dans ce domaine.

En effet, comment mesurer le courage, la force de caractère nécessaire à une personne pour lutter contre ses doutes ? En regard, la foi peut faire accepter avec courage et sérénité les pires épreuves à une personne ayant une confiance absolue dans la Loi de la vie. Un défi est un défi, à partir du moment où il met en jeu toutes nos forces, toute notre détermination, pour remporter un combat ou pour surmonter une épreuve. Chacun mène ses combats en fonction de son karma.

Daisaku Ikeda rappelle : « N'oubliez jamais que le plus grand bonheur, la plénitude suprême, n'existe que dans une vie autonome, en état de défi permanent. » 2. Mais il ne donne aucune indication sur le niveau des défis à relever, il s'agit DES défis.

Un moteur pour conquérir l'autonomie

Les défis nous donnent l'opportunité d'exploiter toutes les possibilités que nous offre la vie et toutes nos potentialités: on cherche ses marques, on se teste, on apprend à se connaître, à se différencier des autres, à ne pas se laisser ballotter par les préjugés, les modes et les contradictions de la société, à donner une valeur à son existence. « Il n'y a pas d'autre manière de se forger soi-même et de se renforcer en utilisant toutes ces capacités qui sont les nôtres, en persévérant avec ténacité, malgré toutes les difficultés » 3, affirme Daisaku Ikeda en s'adressant à la jeunesse.

Les défis façonnent notre personnalité, nous permettent de ne plus nous sentir victimes des autres ou de nous-même et de conquérir une véritable autonomie. Dans le défi, on se sent exister, on fait connaissance avec soi-même. C'est une mise à l'épreuve, dont l'estime de soi est la promesse finale, au-delà du résultat concret. « Le plaisir, c'était d'accomplir quelque chose qui, la première fois que j'y ai pensé, me paraissait au-dessus de mes moyens », confirme Gérard d'Aboville, qui, en 1991, a traversé le Pacifique à la rame en 134 jours.

Une aventure choisie

Qu'on se le donne ou qu'on le relève, un défi est une réponse à un débat intérieur qui mesure les risques, pèse le pour et le contre : « je décide, je crée les conditions de la victoire et du changement. C'est mon libre choix, le passage à l'action, à la concrétisation. » Tout prend alors une autre dimension, on accepte de se remettre en question, d'observer la situation de la façon la plus objective possible, d'accomplir ce qu'on n'a jamais réalisé, de faire appel aux autres si nécessaire, même si l'on n'a pas envie... C'est la raison pour laquelle un défi ne se prend pas à la légère. « Tout projet non abouti ou abandonné prématurément, sans véritable raison, est une frustration qui agit comme un frein à la créativité, à l'accomplissement de soi », témoigne Jean-Louis Étienne, le premier explorateur à avoir traversé, à pied avec des chiens, le continent austral sur 6300 km, tirant lui-même son traîneau pendant soixante-trois jours.

Si petit soit-il, un défi requiert des efforts. Il nous fait souvent passer par des moments de découragement, d'incompréhension : « Pourtant, j'ai fait tout ce qu'il fallait. » Sans ces résistances, il n'existerait pas. C'est une aventure, avec ses imprévus, ses joies, ses déceptions. Rien n'est définitif jusqu'à la victoire finale; chaque matin est un nouveau départ. Ce sont souvent ces petits riens qui comptent, une simple petite modification. Le défi, c'est de remettre tous les jours le coeur à l'ouvrage, de se redéterminer encore et encore, de ne jamais abandonner, quoi qu'il arrive, de continuer à avancer avec patience et ténacité sur sa propre voie.

Les obstacles aux défis

· Le manque d'estime de soi. Pour certains, parier sur soi-même est difficile. Combien se sentent accablés après avoir pris une bonne résolution, comme se mettre au sport ou changer d'orientation professionnelle, par exemple ? Combien faudra-t-il d'efforts pour sauter le pas ? Peu importe, car « un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » 4.
Si l'on a du mal à franchir le cap de l'action, explique Robert Maurer 5, il ne faut pas sous-estimer l'importance d'une préparation qui consiste à « visualiser » les différentes étapes de son projet. Cette technique facilite, le moment venu, le passage de la théorie à la pratique. Si nous sommes découragés devant l'ampleur de la tâche, il préconise une méthode simple : se fixer des objectifs modestes et progressifs, se concentrer sur de petits efforts afin de ne pas paniquer.

· La barrière de nos croyances et de nos préjugés. Ils sont souvent si profondément ancrés qu'on ne voit pas qu'il s'agit d'illusions qui nous empêchent d'avoir une vision claire des choses, de voir la situation avec l'« oeil du Bouddha », l'oeil de la sagesse. Ces barrières sont susceptibles d'alimenter un sentiment d'apitoiement sur soi-même, qui annihilera tous les autres efforts.

· Le doute. L'important est de se construire une croyance forte, fondée sur la prière. Voir le côté positif de toute chose est d'une aide précieuse, mais cela ne suffit pas. Le bouddhisme enseigne qu'il est possible de transformer les difficultés en bienfaits, en s'appuyant sur le principe de l'inclusion mutuelle des dix états.
Ce principe explique que la bouddhéité existe même dans la souffrance, à l'état latent. Il s'agit de la faire apparaître. Bien entendu, « changer le poison en remède » de la sorte exige des efforts constants, beaucoup de sagesse et une grande énergie vitale. Mais, « comme le poison se change en élixir, les cinq caractères de Nam-myoho-renge-kyo transforment le mal en bien » 6, dit Nichiren Daishonin à la dame d'Utsubusa.

Là réside le plus grand défi de notre vie : croire que chacun peut relever tous les défis, croire dans son état de bouddha et dans celui des autres.


3e Civ' n° 580, décembre 2009, p. 22.


  • 1. L&T-IV, 143.
  • 2. Pour une spiritualité créatrice de paix, vol 1, Editions Le Rocher, 1990, p.52.
  • 3. Dialogues avec la jeunesse, Acep, 1998, p. 50.
  • 4. Proverbe attribué à Lao Tseu.
  • 5. Robert Maurer, Un petit pas peut changer votre vie - La voie du kaizen, Le livre de Poche, 2007.
  • 6. L&T-VII, 297.

Il n'y a pas d'autre manière de se forger soi-même et de se renforcer en utilisant toutes ces capacités qui sont les nôtres, en persévérant avec ténacité, malgré toutes les difficultés

D. Ikeda