Croire que notre vie est précieuse et digne de respect, croire que l’on est bouddha. Pas si simple... Même pour les plus proches disciples de Shakyamuni.
Enseignement ultime du Bouddha, le Sûtra du Lotus est le premier à postuler l’Eveil pour tous : les hommes, les femmes, les moines, les laïcs, les personnes mauvaises...
Faisant l’éloge de chaque vie individuelle et de ses potentialités, ce Sûtra se présente comme une longue ode à l’estime de soi. Il cherche à nous convaincre que, quelle que soit notre situation, que l’on ait une bonne, une très bonne ou une mauvaise image de soi, notre vie a, de toute façon, beaucoup plus de valeur qu’on le croit.
Un écrit s’adressant à tous
En recourant souvent à des paraboles, dans le Sûtra du Lotus, Shakyamuni enseigne que le Véhicule unique et suprême, l’état de bouddha, est le même pour tous, dépasse tous les autres états et est accessible à tous. Que les neuf autres états ont un caractère provisoire et ne sont ni une fatalité ni un but à atteindre. Que l’on peut s’extraire de l’enfer, de l’avidité ou de l’animalité, mais aussi que l’on ne doit pas se satisfaire du bonheur temporaire ou d’un éveil superficiel. Ainsi, il touche ceux qui ont peu d’estime d’eux-mêmes. Ceux qui, parfois pour cette raison, traversent un enfer, éprouvent une profonde colère, ou tombent dans l’avidité et l’addiction pour fur une image d’eux-mêmes – transitoire –, mais considérée à tort comme une véritable nature.
Shakyamuni interpelle aussi ceux qui ont une trop haute estime d’eux-mêmes. Comme Shariputra, réputé pour sa sagesse et son savoir, ou Devadatta, qui veut être Bouddha à la place du Bouddha. Shakyamuni souligne qu’une image de soi survalorisée renforce l’ego, isole, et finalement éloigne de l’essentiel, la bouddhéité. S’éloigner de l’essentiel, c’est prendre le risque de se rapprocher du provisoire que sont les états de vie les plus bas. C’est ce que Shakyamuni ou Nichiren prédisent à des moines arrogants, corrompus, qui ont oublié l’objet du bouddhisme : s’éveiller soi-même en cherchant à éveiller les autres. Ainsi, au début du Satra du Lotus, au moment où, sur l’insistance de ce même Shariputra, Shakyamuni commence à prêcher, cinq mille moines, nonnes, croyants et croyantes laïques quittent l’assemblée et se retirent. « Parce que chez ces gens, qui supposaient avoir accédé à ce qu’ils n’avaient pas atteint, qui pensaient avoir compris ce qu’ils n'avaient jamais compris, les racines de culpabilité étaient profondes et multiples, et leur arrogance outrecuidante. »1
Le joyau insoupçonné
Dans le chapitre VIII du Sûtra du Lotus, « Prophétie de l’illumination à cinq cents disciples », Shakyamuni annonce à cinq cents de ses disciples arhat2 qu’ils atteindront tous l’Eveil. Apprenant cela, « obtenant ce qu’ils n’avaient jamais eu auparavant », ces derniers se mettent à danser de joie.3 Le Bouddha enseigne par là que même ces proches disciples peuvent sous-estimer leurs capacités, se contentant d’une sagesse et d’un éveil mineurs. Ils surestiment ce qu’ils ont déjà obtenu tout en se sous-estimant eux-mêmes : ils n’imaginent plus faire apparaître une sagesse encore plus profonde. Si toutefois ils l’imaginent, ils redoutent l’effort que cela va leur demander. Ils semblent prisonniers de l’autosatisfaction et du conservatisme.
Leur attitude est alors illustrée par la parabole du joyau dans la doublure du vêtement : « Honoré du monde, c’est la même chose que l’histoire de cet homme qui s’étant rendu chez un ami proche et ayant trop bu, s’était couché pour dormir. Son ami dut alors partir pour ses affaires, mais avant de sortir de la maison, il prit un joyau d’une valeur inestimable et le cousit dans la doublure du vêtement de l’homme endormi. Ce dernier qui cuvait son vin ne se rendit compte de rien. À son réveil, il partit vers d’autres terres. En quête de nourriture et de logement, il dut faire preuve d'énergie et d’endurance, affronter bien des vicissitudes et accepter le peu qu’on venait à lui proposer. Par la suite, il lui advint par hasard de rencontrer cet ami proche. Celui-ci lui dit : “C’est vraiment absurde que tu aies été contraint à de tels expédients pour te nourrir et te vêtir ! Ily a quelque temps, j’ai voulu m’assurer que tu puisses vivre agréablement et satisfaire aux cinq désirs, c’est pourquoi j’avais cousu dans la doublure de ton vêtement un joyau de grand prix. Il doit être toujours là, mais tu n’en savais rien, te démenais et t’épuisais à gagner ta vie. Quelle absurdité ! Prends vite ce joyau et va l’échanger contre des marchandises, tu pourras alors avoir tout ce que tu souhaites et tu ne connaîtras plus jamais le manque ni la misère.” »4
L’ami proche représente le Bouddha. Le joyau inestimable, la bouddhéité. La pauvreté, l’errance, la vie au jour le jour avec le peu que l’on a, représentent l’état de vie de ceux qui se contentent d’un éveil mineur. L’ivresse, qui fait qu’on ne se rend plus compte de rien et qu’on oublie tout, l’obscurité fondamentale qui sape la croyance.5 Le Bouddha, surpris de retrouver son ami dans la même situation, l’aide à regagner l’estime de lui-même, ou plutôt, lui montre comment la reconquérir, en lui révélant le joyau cousu dans la doublure du vêtement.
L’esprit originel
Cette parabole signifie que ces disciples ont oublié que, par le passé, Shakyamuni leur a enseigné la voie des bodhisattvas, leur « insufflant la détermination de rechercher la sagesse omnisciente ».6 Mais ils ont oublié tout cela, et sont devenus « indifférents et ignorants ».
Dans les Enseignements oraux, Nichiren commente ce passage : « Maintenant, lorsque Nichiren et ses disciples récitent Nam-myoho-renge-kyo, ils sortent des vapeurs du vin de l’ignorance. »7
Oubliant l’esprit que nous avions au début de notre pratique, nous nous égarons parfois, enivré que nous sommes par notre part d’obscurité. C’est alors que la fonction du maître prend tout son sens : nous encourager à nous « frotter » à nouveau à ce joyau inestimable, si proche de nous, mais dont nous sommes parfois si distant : le Gohonzon. Nous nous réveillons alors, et réalisons que notre vie a de la valeur et que, sans elle, l’univers serait différent, c’est-à-dire moins beau.
Daisaku Ikeda écrit : « Parce que leur coeur est enveloppé dans l’obscurité, ils ne peuvent concevoir quelle merveille est leur propre vie. »8
Notre vie est merveilleuse, quand nous sommes convaincu qu’elle a une utilité à nos yeux et à ceux des autres. Lorsque nous ne le croyons pas ou l’oublions, lorsque nous recherchons le joyau en dehors de nous, elle perd tout son éclat.
A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°26 du mois de décembre 2012.
Valeurs humaines est le mensuel des associations Soka du bouddhisme de Nichiren.
Abonnement / Achat au numéro
- 1. ↑ SdL-II, 49.
- 2. ↑ Ahrat : mot sanskrit traduit parfois par « Méritant », désignant les moines parvenus au plus haut degré d’éveil possible dans le bouddhisme Theravada.
- 3. ↑ SdL-VIII, 154.
- 4. ↑ SdL-VIII, 153.
- 5. ↑ Voir La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 2, Acep, pp. 158-161.
- 6. ↑ SdL, 153.
- 7. ↑ La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 2, Acep, p. 161 ; OTT, 78-79.
- 8. ↑ Ibid., p.160.