Après avoir contemplé notre planète depuis l'espace, certains astronautes rapportent avoir ressenti un choc cognitif et émotionnel puissant, appelé “l'effet de vue d'ensemble”. La perspective de notre Terre, regorgeant de vie, flottant dans le vide spatial, semble déclencher une prise de conscience transformatrice...
Le 6 mars 1969, Rusty Schweikart effectuait une sortie dans l'espace, à l'extérieur du module lunaire Apollo 9, pour réaliser des tests. Il ressentit alors une sensation euphorique, le sentiment que l'Univers tout entier était profondément connecté :
« Quand vous faites le tour de la Terre en une heure et demie, vous commencez à reconnaître que votre identité est avec cet ensemble ! Cela vous change. »
Deux ans plus tard, l'astronaute d'Apollo 14, Edgar Mitchell déclare avoir ressenti ce qu'il décrit également comme un sentiment de profonde connexion, associée à une béatitude et un sentiment d'intemporalité. Il fut bouleversé par cette expérience. Il rapporte avoir pris conscience que chaque atome de l'Univers était connecté et, en voyant la Terre depuis l'espace, il comprit que tous les humains, les animaux et les systèmes vivants faisaient partie d'un même ensemble, d'un tout synergique.
Ces expériences ne sont pas des anomalies isolées. L'astronaute Ron Garan a effectué plusieurs missions à bord de la Station spatiale internationale. L'effet de “vue d'ensemble” a radicalement modifié sa compréhension du monde :
« Lorsque nous voyons notre planète du point de vue de l'espace, certaines choses deviennent indéniablement claires. Nous continuons d'essayer de traiter des problèmes tels que le réchauffement climatique, la déforestation et la perte de biodiversité comme des problèmes isolés, alors qu'en réalité, ils ne sont que des symptômes d'un défaut sous-jacent dans la façon dont nous nous percevons en tant qu'humains : nous ne réalisons pas que nous sommes une espèce planétaire.
Quand j'ai regardé par la fenêtre de la Station spatiale internationale, j'ai vu des éclairs d'orages semblables aux flashs des paparazzi, j'ai vu des rideaux d'aurores dansantes qui semblaient si proches que c'était comme si nous pouvions les toucher. Et j'ai vu l'incroyable minceur de l'atmosphère de notre planète. À ce moment-là, j'ai pris conscience que cette fine couche maintient en vie tous les êtres vivants de notre planète. J'ai vu une biosphère irisée et pleine de vie. Je n'ai pas vu l'économie.
Mais puisque les systèmes créés par l'homme traitent tout, y compris les systèmes vitaux de notre planète, comme une branche de l'économie mondiale, il est évident que, du point de vue de l'espace, nous vivons dans un mensonge ! Nous devons passer de la pensée “économie-société-planète” à la pensée “planète-société-économie”. C'est alors seulement que nous pourrons poursuivre notre processus évolutif. »1
La fable de l'éléphant
Nous souffrons pour la plupart d'une compréhension et d'une vision très étroites des choses et de la vie. Nous ne voyons pas la situation globale dans sa réalité. Une fable d'origine indienne illustre ce fait. Elle raconte l'histoire de six aveugles et d'un éléphant. On trouve l'une des plus anciennes versions de cette fable dans un écrit bouddhique (le sûtra Tittha Sutta).
Six aveugles tentent de décrire un éléphant. Chacun touchant seulement une partie du corps de l'animal, il s'en fait une représentation tout à fait partielle et différente des autres.
Le premier glisse sa main contre le flanc de l'animal et s'exclame : « Un éléphant est comme un mur ! » Le deuxième, tâtant une défense, s'écrie « Il ressemble à une lance ! » Le troisième prend la trompe ondulante et dit : « Pour moi, l'éléphant est comme un serpent. » Le quatrième palpe le genou et pense qu'un éléphant ressemble à un arbre. Le cinquième s'étant saisi de l'oreille, dit : « Cette merveille d'éléphant est semblable à un éventail ! » Le sixième, s'emparant de la queue qui balaie l'air, dit : « L'éléphant est comme une corde ! »
Lorsqu'ils confrontent ensuite leurs idées, ils entrent en désaccord et se disputent avec véhémence. Finalement, un sage qui passe par-là les entend et leur dit : « Vous avez tous raison ! L'éléphant a réellement les traits que chacun a décrits. » La discorde cesse alors et tous sont heureux d'avoir dit vrai !
Un changement de conscience
La veille de Noël 1968, l'équipage d'Apollo 8 – première mission orbitale habitée autour de la Lune – photographient pour la première fois un lever de Terre. Cette célèbre photo s'appelle Earthrise. Elle a révolutionné notre façon de voir le monde, notre façon de nous voir en tant qu'espèce humaine, et a eu un impact important dans le développement de la conscience écologique.
On pourrait dire qu'elle a eu un “effet de vue d'ensemble” à l'échelle de l'humanité.
Aujourd'hui, alors que les difficultés et les risques existentiels de notre société semblent s'aggraver et croître en compléxité, le besoin d'une telle perspective se fait vivement ressentir. Il s'agit de reconnaître, au-delà de nos représentations partielles, la réalité de la situation humaine dans sa globalité. Cette réalité est celle de l'interdépendance – un principe clé du bouddhisme.2
Un corollaire important de ce principe est que, puisque tout est connecté, la clé du changement réside dans le coeur et dans l'esprit humain. Comme l'écrit le philosophe bouddhiste Daisaku Ikeda :
« Les difficultés auxquelles est confrontée la société humaine ne peuvent être résolues uniquement par des changements extérieurs tels que des réformes politiques et économiques ou des innovations institutionnelles et structurelles. Les réformes qui ne prennent pas en compte le bien-être des gens ou qui manquent de respect envers la dignité de la vie ne feront que créer davantage de problèmes et, en définitive, échoueront. (...)
Eveillons-nous à la dignité et au caractère précieux de la vie ! Le changement doit partir des êtres humains eux-mêmes ! »3
- 1. ↑ Ron Garan, interview Big Think sur Youtube, publiée le 14 déc. 2022.
- 2. ↑ En savoir plus, lire : Engi, le principe d'origine interdépendante
- 3. ↑ D. Ikeda, Une religion de la révolution humaine, Acep 2020, p. 9-10.