Linguiste, explorateur, diplomate, attaché militaire, académicien et spécialiste des manuscrits de Dunhuang, Paul Pelliot (1878-1945) a mené plusieurs vies.
Né le 28 mai 1878 et élevé à Saint-Mandé près de Paris, Paul Pelliot est diplômé de l’École libre des sciences politiques et de l’École des Langues orientales vivantes, en 1897. « Il apprit [de ses maîtres, l’indianiste Sylvain Lévi et le sinologue Édouard Chavannes] qu’on ne connaît ni l’Inde ni la Chine, si on laisse de côté les liens que le bouddhisme a jetés entre leurs civilisations et néglige l’étude de leurs sources littéraires qui s’éclairent mutuellement. »1 Pensionnaire puis membre de l’École française d’Extrême-Orient, dont le siège était alors situé à Hanoï, il effectue plusieurs missions pour le compte de cette institution, notamment en Chine et en Asie centrale. À vingt et un ans, il est envoyé à Pékin afin d’y récupérer des manuscrits. Il s’y trouve lors de la Révolte des Boxers2, et fait partie des Occidentaux assiégés dans la ville pendant les « 55 jours de Pékin » de l’été 1900. Il participe activement et héroïquement à la défense des légations3, plus particulièrement la légation de France, actes qui lui vaudront d’être décoré de la Légion d’honneur.
La mission Pelliot (1906-1909)
À la fin du XIXe siècle ont lieu plusieurs découvertes sur les sites d’anciennes cités oasis, alors recouvertes par les sables, sur le pourtour du désert du Taklamakan (l’actuelle région autonome chinoise du Xinjiang), le long de la route de la Soie. La première, semble-t-il, est celle du capitaine britannique Bower qui, en 1889, met au jour un manuscrit en écriture indienne sur écorce de bouleau. Elle est suivie par la mission française Dutreuil de Rhins, en 1892, qui découvre un autre manuscrit sur écorce de bouleau, plus ancien encore, en écriture kharoshti (écriture araméo-indienne). La première mission à caractère purement archéologique sera celle que l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg confiera à Dmitri Klementz, en 1898. Mais c’est la mission de l’explorateur suédois Sven Hedin, en 1893-1897, qui exercera une influence déterminante sur les explorateurs du début du XXe siècle, comme le britannique Aurel Stein (1862-1943), l’allemand Albert von Le Coq (1860-1930) ou Paul Pelliot. « L’espoir naquit, écrira plus tard ce dernier, que dans les sables du Turkestan […], on pourrait trouver des monuments du bouddhisme du Nord qui avaient disparu de l’Inde. »4
Parti en train de Paris le 15 juin 1906 avec deux compagnons de voyage, le docteur Louis Vaillant et le photographe Charles Nouette, Pelliot parvient, via Moscou et Tachkent, au terminus du chemin de fer, à Andijan, en Ouzbékistan. Une imposante caravane est alors mise à sa disposition par le tsar Nicolas II pour toute la durée de l’expédition. Elle franchit la frontière russo-chinoise puis touche Kashgar début septembre, où elle séjourne un mois. Poursuivant sa route, la mission atteint Toumchouq, où elle met au jour l’ensemble religieux de Toqqouz-Saraï qui constitue aujourd’hui l’un des plus beaux ensembles originaires de la région conservé au Musée national des arts asiatiques Guimet.5
En octobre 1907, Pelliot arrive à Ouroumtchi, la capitale du Xinjiang, séjourne à Tourfan, avant de rejoindre Pékin à l’été 1909.
La bibliothèque « aux manuscrits »
Au cours de cette même expédition, durant son séjour dans la province du Gansu près de Dunhuang en février-mars 1908, Pelliot achète pour 500 tael (100 euros) à un moine taoïste, Wang Yuanlu, dit l’« abbé Wang », une partie des manuscrits de Dunhuang. Celui-ci les avait découverts dans la grotte murée n° 17 des grottes « des mille bouddhas » de Mogao, dite « aux manuscrits », et en avait déjà vendus à l’orientaliste britannique Aurel Stein, passé par là au printemps 1907. Les talents de linguiste de Pelliot (il parle treize langues) lui permettent de sélectionner en quelques jours les manuscrits les plus intéressants : plusieurs milliers de manuscrits antérieurs au XIe siècle, un ensemble de 3000 feuilles d’estampage d’inscriptions succinctes et une collection de livres chinois de plus de 2000 titres (plus de 30 000 fascicules). Il écrit : « Mon parti fut vite pris. L’examen au moins sommaire s’imposait, où qu’il dût me mener […]. Les dix premiers jours, j’abattais près de mille rouleaux par jour, ce qui doit être un record ; le 100 à l’heure dans une niche, allure d’automobile à l’usage des philologues. J’ai ralenti ensuite. D’abord, j’étais un peu fatigué, la poussière des liasses m’avait pris à la gorge […]. »6
Constatant que l’écriture xixia des Tangoutes – qui se sont emparés de Dunhuang vers 1035 –, est absente de tous les manuscrits découverts dans la grotte, il en déduit qu’elle a probablement été murée peu avant l’invasion.7
Parmi ces textes, on trouve notamment le récit du voyage en Inde (723-728) du moine coréen Hye-cho, l’un des nombreux moines qui ont fait le pèlerinage en Inde, ou encore un magnifique manuscrit enluminé du chapitre XXV du Sûtra du Lotus, « Le bodhisattva Sensible-aux-Sonsdu- Monde ».
La consécration
De retour à Paris en octobre 1909, il étudie ces précieux manuscrits religieux bouddhistes et profanes, rédigés en chinois, tibétain, sanscrit, koutchéen, khotanais, sogdien et ouïgour (il y a même un fragment en hébreu), conservés aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France. Ceux-ci s’avèrent d’une grande importance pour l’étude de l’Asie centrale de la période du vie au XIe siècle et la diffusion du bouddhisme vers la Chine par la route de la Soie. Les peintures murales qu’il a également rapportées sont, quant à elles, conservées au musée Guimet.
En 1911, il est titulaire de la chaire nouvelle des « langues, histoire et archéologie de l’Asie centrale » au Collège de France ; il n’a pas encore trente-trois ans. Il vient de créer une science8 en déchiffrant une langue jusqu’alors inconnue : le khotanais. Durant la Première Guerre mondiale, il se bat contre les Turcs dans les Dardanelles, puis est nommé en 1918 attaché militaire à Pékin, grâce à l’appui de son ami Stephen Pichon, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Georges Clemenceau.9 Il fait son entrée à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, en 1921.
Après avoir consacré trente-quatre ans à l’enseignement et à la recherche, il décède le 26 octobre 1945 à Paris, non sans avoir salué avec enthousiasme le général de Gaulle et la Libération.
Galerie
- Paul Pelliot à Ouroumtchi, Chine, en 1907. [Musée Guimet, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Richard Lambert]
- Le moine taoïste, Wang Yuanlu. Sa découverte fut à l’origine des études de Dunhuang. [DR]
- Paul Pelliot en 1908, dans la « niche aux manuscrits », grotte n° 17 de Mogao, Chine. [Musée Guimet, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image musée Guimet]
- Carte de la mission Pelliot. [Eugène Protot - revue Toung Pao, domaine public]
- Portrait de Paul Pelliot, en 1909. [Alice Pelliot — revue Toung Pao, domaine public]
A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°65, mars 2016, p.26.
Valeurs humaines est le mensuel des associations Soka du bouddhisme de Nichiren.
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- 1. ↑ Jean Filliozat. Cité par Jacques Giès, dans Les arts de l’Asie centrale I, la collection Pelliot du musée Guimet, RMN éd., p. 6.
- 2. ↑ Révolte initiée par une société secrète chinoise dont le symbole était un poing fermé. Les Anglo-saxons donnèrent à ses membres le nom de boxeurs (ang. : boxers). Ils furent à l’origine d’un mouvement xénophobe et nationaliste qui éclata à la suite de la défaite infligée à la Chine par le Japon en 1895.
- 3. ↑ Représentation diplomatique dans un pays où il n’y a pas d’ambassade.
- 4. ↑ Lors d’une conférence en 1910. Cité par Jacques Giès, Ibid., p. 5.
- 5. ↑ Ibid., p. 7.
- 6. ↑ Paul Pelliot, « Lettre à Émile Sénart », T’ien-fo-tong, 26 mars 1908, BEFEO, tome VIII, 1908, pp. 503-504.
- 7. ↑ Philippe Flandrin, Les Sept Vies du mandarin français – Paul Pelliot ou la passion de l’Orient, Éditions du Rocher, 2008, p. 168.
- 8. ↑ Op. cit., p. 13.
- 9. ↑ Il sera de retour en France dès 1919, après s’être marié dans l’intimité avec une femme russe, Marianne Kavorski, le 20 octobre 1918.