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En tous lieux et à toutes les époques, la spiritualité du « roi des sûtras » a été la source d'un grand renouveau artistique, notamment dans le domaine musical. Célébrant la voix et le son pour leur capacité à toucher le coeur humain et y insuffler les sentiments les plus positifs, le courant du Sûtra du Lotus a toujours accordé une place privilégiée à cette forme d'expression.

Une ode à la vie regorgeant d'évocations musicales

Historiquement, le Sûtra du Lotus a exercé une profonde influence sur la culture et les arts des pays dans lesquels il s'est propagé : Inde, Chine, Corée, Japon. Si les traces de cette influence sont visibles dans la peinture, la sculpture ou la poésie de ces pays, en ce qui concerne la musique, elles sont plus difficiles à identifier. Pour autant, tout porte à penser que le Sûtra du Lotus a également suscité une riche tradition musicale, qui se serait « sécularisée » avec le temps.

Ainsi, l'art pictural lié au Sûtra du Lotus figure bien souvent des musiciens, des nymphes célestes – dites Apsaras (chinois : Feitan) –, et autres divinités de la musique. Et on a exhumé à Dunhuang des partitions musicales datant de la Chine des Tang, une époque où le Sûtra du Lotus était largement respecté dans le pays. Elles ont plus de mille ans, et les experts s'efforcent encore de déterminer de quel genre de musique il s'agit.

En outre, étant une grande célébration de la vie, lyrique et haute en couleurs, le récit du Sûtra lui-même abonde de références à la musique et à la danse.

Dès l'ouverture, la merveilleuse description de l'assemblée du Sûtra fait mention de bouddhas, de bodhisattvas et d'auditeurs, mais aussi d'êtres non humains, dont des kimnara (jap.: kinnara) – des divinités célestes bienveillantes de forme à moitié humaine et à moitié animale, qui jouent d'instruments de musique – et des gandharva – divinités de la musique et du chant qui vivent dans la nature, au service du grand Roi céleste Dhrtarastra (jap.: Jikoku-ten), gardien de l'Est. Comme l'écrit Daisaku Ikeda :

D’un bout à l’autre, le Sûtra résonne d’un joyeux chant céleste. Non seulement il est empli de musique, mais on y trouve aussi des images, de la lumière, des couleurs, des parfums. La terre tremble. Des fleurs pleuvent du ciel. C’est un spectacle magnifique, une mise en scène théâtrale de la vie. C’est comme un opéra interprété sur la scène du cosmos.
La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol.2, Acep édition 2015, p.559.

En effet, les références à la musique se retrouvent d'un bout à l'autre du Sûtra. Un chapitre, le vingt-quatrième, est consacré au « bodhisattva Son-merveilleux » (jap.: Myôon), un être vaste et doté de bienfaits et de pouvoirs extraordinaires. Le chapitre suivant est consacré au bodhisattva « Sensible-aux-sons-du-monde » (jap.: Kannon), à la compassion infinie. De nombreux instruments de musique sont cités à travers tout le récit1, et l'on peut lire de nombreux passages évocateurs, tels que celui-ci :

...Si [des gens] engagent des musiciens, battent tambours, soufflent dans trompes et conques, jouent du pipeau, de la flûte, de la cithare ou de la harpe, du pipa, des cymbales et des gongs, et que toutes ces notes merveilleuses résonnent comme une offrande ; si encore, le coeur plein d'allégresse, quelqu'un chante, célébrant la vertu du Bouddha, ne serait-ce qu'une petite note, tous ceux qui réalisent ces choses auront ainsi atteint la voie du Bouddha.
SdL-II, 57-58

La récitation du Sûtra et de Nam-myoho-renge-kyo

Très tôt est apparue la pratique consistant à réciter les sûtras de façon rythmée. Dans le Sûtra du Lotus les parties en prose alternent avec des parties équivalentes sous forme versifiée. Cette versification a facilité la mémorisation, à une époque où l'essentiel de la transmission était encore orale.

La récitation rythmée, ou scandée, du Sûtra, souvent accompagnée de gongs, est une pratique religieuse millénaire. Aujourd'hui encore, des millions de pratiquant du mouvement Soka à travers le monde récitent gongyo, comportant deux passages particulièrement importants du Sûtra du Lotus, matin et soir.

Au XIIIe siècle, le moine japonais Nichiren raviva le courant du Sûtra du Lotus en établissant une forme de pratique « condensée », consistant en la récitation du titre du Sûtra, Myoho-renge-kyo, précédé du mot sanskrit Namas ou Nam, qui signifie « Je me consacre à », ce qui donne : Nam-myoho-renge-kyo.

Il s'agit d'une pratique vocale dynamique et rythmique, dotée d'un certain caractère musical. En l'entendant, Yehudi Menuhin, violoniste de renommée mondiale avait observé :

Je suis très impressionné par le son « Nam », dans Nam-myoho-renge-kyo. Le son « M » est à l'origine de la vie, c'est le son que l'on retrouve dans maman, mère, mother. Dans ce premier son que les enfants apprennent, « M » joue un rôle très important. Ensuite « R », de Ren a un son très significatif et se trouve au milieu.
Dialogue entre Yehudi Menuhin et Daisaku Ikeda, Troisième Civilisation, n° 369, mai 1992, p. 18.

Il avait également fait remarquer les similitudes entre la pratique de la récitation de Nam-myoho-renge-kyo et le chant.

Extrait audio 1 | Récitation de Nam-myoho-renge-kyo :

Extrait audio 2 | Récitation rythmée de deux passages du Sûtra du Lotus (Gongyo) :

Extrait audio 3 | Gongyo mis en musique par Nestor Torres (flûtiste de compositeur de jazz) : Lotus Sutra of the wonderful Law :


La résurgence de l'humanisme bouddhique et son application à la musique

Après une période de dormance, le Sûtra du Lotus a resurgi au XXe siècle, à travers l'essor d'un mouvement populaire : la Soka Gakkai.

Dès l'origine, le mouvement Soka se démarque par un humanisme engagé, tourné vers la société. Sa mission, dans la lignée du Sûtra du Lotus et de Nichiren Daishonin, dépasse le strict cadre religieux et s'efforce de revitaliser le tissu social à travers, notamment, une variété d'actions culturelles.

Sous l'impulsion de son troisième président fondateur, Daisaku Ikeda, le mouvement s'internationalise et développe ses contributions à la société selon trois axes : paix, culture et éducation.

Analysant le lien entre spiritualité et culture, Daisaku Ikeda écrit :

La croyance religieuse est comme la terre. Mais une terre sans fleurs ni arbres serait stérile. Inversement, une culture qui n'est pas fondée sur le terreau de la religion est comme une herbe sans racines.
En se servant du corps humain comme élément de comparaison, la religion correspond au squelette, et la culture, aux muscles, à la chair, à la peau et aux vêtements. Les deux éléments sont complémentaires et indispensables pour l'éclosion de cette valeur que nous appelons la beauté.
La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 5, p. 146.

Ainsi, au sein du mouvement Soka, les pratiquants bouddhistes peuvent mener diverses activités culturelles – chant, musique, danse, etc. – à la fois pour l'épanouissement personnel qu'elles procurent, mais aussi car elles représentent une mise en pratique de la voie altruiste du bodhisattva, consistant à insuffler joie et courage aux autres.

A titre d'illustration, voyons comment s'est constituée la fanfare Fifres et Tambours, pour jeunes filles. Créée en 1956 au Japon, elle comprenait à l'origine trente-trois membres. Daisaku Ikeda fait le récit suivant de leurs débuts.2

On parvint non sans mal à trouver des instruments. Les tambours provenaient des surplus de l'armée américaine et étaient décorés de lignes bleues et rouges tapageuses. Les jeunes filles du groupe commencèrent à s'entraîner immédiatement, mais elles ne savaient pas comment tenir les baguettes d'un tambour, et aucune d'elles n'avait jamais non plus tenu un fifre en main. Après avoir soufflé dans l'instrument cinq minutes de suite, elles en avaient la tête qui tournait.

Elles jouèrent leur première représentation quelques semaines plus tard. Mais elles avaient eu beau s'entraîner tous les jours, la plupart d'entre elles ne parvint pas à sortir le moindre son de leur instrument. Leur sérieux et leur sincérité mit cependant des larmes aux yeux du public.

En janvier 1965, le grand musicien de jazz Art Blakey joua à Tokyo. A la fin du concert, plusieurs membres des Fifres et Tambours qui étaient dans la salle se sont précipitées dans les coulisses, leur tambour à la main, et l'ont supplié de leur donner une leçon. Il fut tellement impressionné par leur détermination qu'il commença à leur donner une leçon sur le champ, puis les rencontra à nouveau quelques jours plus tard.

Art Blakey leur donna une leçon de base sur le rythme de frappe. Les jeunes filles jouaient sérieusement, et l'artiste finit par retirer sa veste, prendre des baguettes et se mettre à tambouriner vigoureusement. Il leur dit : « Votre jeu ne doit pas être rigide et formel. Vous devez jouer avec le coeur ! » En même temps, sans même essuyer la sueur de son front, il continuait à battre le rythme et à jouer des cymbales. Il semblait l'incarnation d'une force énorme. Finalement, ruisselant de sueur et de larmes, il leur dit : « J'ai l'impression d'avoir entrevu le vrai visage du Japon. Le Japon est mon pays. »

Aujourd'hui, le groupe Fifres et Tambours, composé de musiciennes amatrices, s'est considérablement développé et existe dans plusieurs pays du monde.

La musique ne connaît pas de frontières. Elle jette directement un pont au-dessus des coeurs divisés. En entrant en résonance avec le rythme inhérent de l'univers grâce à un simple fifre ou un tambour, les membres de ce groupe impriment une prière de paix au plus profond du coeur des êtres humains. C'est le coeur qui compte. Et c'est dans la culture, et plus profondément dans la religion que le coeur trouve sa nourriture.
Daisaku Ikeda, La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 2, édition 2015, p. 565-566.

Extrait audio 4 | La fanfare Fifres et Tambours lors d'un festival au Japon en 2013, à Tokyo :


Une musique inspirée par l'état de bouddha

De nombreux musiciens renommés puisent cette « nourriture du coeur », source essentielle d'inspiration, dans le bouddhisme de Nichiren : Buster Williams, Herbie Hancock, Wayne Shorter, Shunzo Ohno, Larry Coryell, Tina Turner, ... – pour n'en citer que quelques uns. Ces artistes se fondent sur la foi bouddhique pour cultiver dans leur vie la force d'âme nécessaire à oeuvrer au bonheur des autres, à travers leur art.

Herbie Hancock, grande figure du jazz et pratiquant du bouddhisme de Nichiren, parle de sa musique en ces termes :

Je ne me focalise pas sur la forme d'art particulière sur laquelle j'ai bâtit ma carrière. Je me concentre sur la source et le but que je cherche à atteindre à travers ma musique : la vie elle-même.
A la base de mon expression artistique, il y a l'essence de la vie. Je réalise que plus je développe ma vie, plus cela se retrouve dans ma musique. La musique exprime ce développement. Je pratique la forme artistique particulière qui est la mienne avec l'espoir que cela puisse produire chez l'auditeur une appréciation de sa propre vie. Je ne souhaite pas particulièrement que l'audience soit bluffée par ma musique, ou me mette sur un piédestal. Non, cela n'a rien à voir avec ça. J'espère que ma musique déclenchera quelque chose à l'intérieur d'eux, quelque chose qui leur fasse ressentir plus de sens, de substance, d'inspiration dans leur propre vie. Qu'ils prennent conscience de quelque chose qui existe déjà en eux.
Herbie Hancock, The Art of Life, interview du SGI-Quarterly, avril 2001.

Ce « quelque chose qui existe déjà en eux » dont parle Herbie Hancock pourrait s'assimiler, en termes bouddhiques, à la nature de bouddha inhérente à chaque être humain. Le but du bouddhisme, comme celui de la musique qui s'en inspire, est de nous y éveiller.

Extrait audio 5 | Auung San Suu Kiy - Herbie Hancock, Wayne Shorter, Dave Holland, Brian Blade :


Galerie :

  • Musiciens dépeints sur une fresque murale, Mogao, cave n°2. [© Dunhaung Academy]
  • Feitian, musicien céleste. Détail d'une fresque murale, Mogao, cave n°285. [© Dunhaung Academy]
  • La fanfare Fifres et Tambours de la SGI-Brésil, Banda Nova Era Kotekitai, lors d'un festival culturel. [DR]
  • Jeunesse de la SGI-USA lors d'un festival culturel en 2010. [DR]
  • Herbie Hancock et Wayne Shorter, lors d'un concert d'hommage à Miles Davis en 2013 à Los Angeles. [DR]

  • 1. Parmi ces instruments, on peut citer : cornes, conques, cornemuses, flûtes, biwa (sorte de luth à manche court), cithares (jouée avec les doigts ou avec un archet), luths à plusieurs cordes, harpes, cymbales, gongs et tambours.
  • 2. Récit tiré de La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 2, Acep édition 2015, p. 564 et suivantes.