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Passionnée, engagée, laborieuse, la recherche pédagogique de Tsunesaburo Makiguchi, fondateur et premier président de la Soka Gakkai, lui fait dévorer les oeuvres d’une pléthore de philosophes, chercheurs, et tous premiers experts en sciences sociales. Il y puise le pragmatisme de John Dewey1, la sociologie moderne de Lester Ward2 et une certaine vision de la géographie, prônée par Shigetaka Shiga3.

Publiée en 1903, la première oeuvre de Tsunesaburo Makiguchi, Jinsei chirigaku, La géographie de la vie humaine, contient les premières graines de sa philosophie des valeurs. Elle devient un manuel de référence. Reconsidérant les trois valeurs philosophiques de « Vérité, Bonté, Beauté », il exclut la « Vérité » pour introduire le « Gain ». Telle fut l’originalité intellectuelle de Makiguchi. Pour lui, tout semble opposer vérité et valeur : l’une est objective et immuable, l’autre, subjective et changeante. Les valeurs peuvent coexister, alors que la vérité est solitaire. « Quand on s’interroge sur la notion de valeur, écrit-il, le problème auquel on se heurte d’emblée ... est sans doute de la définir par rapport à celle de vérité. » (...) « La vérité ne peut être créée, alors que nous pouvons créer des valeurs. »

  • La beauté est perçue comme une valeur émotionnelle et temporaire, s’exprimant par l’un ou plusieurs des cinq sens. Elle ne concerne qu’une partie de la vie humaine.
  • Le gain est une valeur individuelle, reliée à l’ensemble de la vie humaine. Il procède de la relation entre un individu et un objet, contribue au maintien et au développement de sa propre vie, La bonté, en revanche, est une valeur sociale, en relation avec la vie du groupe, où chacun contribue à construire une société unifiée.
  • La bonté est un gain public. Le développement de personnes possédant de telles capacités est précisément la tâche majeure de l’éducation. Une personne ainsi éduquée cherchera à équilibrer harmonieusement ces trois valeurs pour améliorer sa propre vie et la société dans laquelle elle vit. Avec sa philosophie des valeurs, Tsunesaburo Makiguchi marque à la fois l’histoire du Japon, en matière d’éducation, et celle de la Soka Gakkai qu’il fonde dans les dernières années de sa vie.

Un idéal galvanisé par le bouddhisme de Nichiren

En juin 1928, Tsunesaburo Makiguchi rencontre Sokei Mitani, enseignant comme lui et pratiquant du bouddhisme de Nichiren Daishonin. Mitani fut sûrement très excité à l’idée de transmettre à Makiguchi le lien merveilleux entre les préoccupations d’un éducateur et l’enseignement de Nichiren Daishonin. Il réussit assurément à toucher son coeur, car ce dernier décide de suivre cette voie.

A cette période, Makiguchi a déjà formulé ses concepts de base, mais sa vie et son oeuvre vont entrer dans une dimension nouvelle. Le pragmatisme de cette religion, l’accent mis sur l’action concrète dans la société, le fait qu’elle constitue une base spirituelle et philosophique pour la vie quotidienne, tout cela répond de façon claire à l’idéal qu’il nourrit dans les profondeurs de son être : créer des valeurs pour le bonheur de l’être humain. Il adhère sans hésiter. La flamme pour l’éducation, qu’il préservait au prix d’efforts acharnés, s’est ranimée par le souffle frais des paroles de Sokei Mitani.

Ceux qui connaissent mal son histoire peuvent croire que l’origine de sa pensée repose sur la doctrine de Nichiren Daishonin, mais l’esprit de Makiguchi est, bien avant de rencontrer le bouddhisme, dominé par la création de valeurs humanistes, pour permettre à chaque être humain de mener une vie heureuse. « Le but suprême et ultime de la vie est le bonheur, écrit-il, c’est-à-dire la création de valeurs : le bonheur caractérise l’existence de celui qui peut pleinement obtenir et créer des valeurs ».

Au fur et à mesure qu’il en approfondit la compréhension, l’enseignement bouddhique devient central pour Makiguchi. Son étude a dû provoquer au coeur de sa vie une succession d’émotions, notamment lorsqu’il constate que ses trois terrains de recherches fondamentaux équivalent à trois concepts tout aussi fondamentaux du bouddhisme de Nichiren Daishonin : « L’inséparabilité de soi et de son environnement » pour la géographie, « les trois preuves, littéraire, littérale et actuelle » pour l’expérience pragmatique et la vérification scientifique, et, enfin, la réalisation de kosen rufu (paix mondiale) en s’engageant à transmettre le moyen pour le bien suprême dans son groupe, sa famille et la société tout entière.

Dans le titre de l’oeuvre principale de Makiguchi, Soka kyoikugaku taikei, Théorie pour une pédagogie créatrice de valeurs (1930), So : « création » et Ka : « valeurs » forment le mot et le concept clés d’une organisation qui va se développer à l’échelle mondiale.

Rénovation de l’éducation et révolution religieuse

La pensée et la pratique éducatives de Makiguchi se divisent en deux phases distinctes : la première concerne la philosophie et la pédagogie, fruits de quarante années d’enseignement. La seconde s’attache à la pensée et à la pratique qui naissent de ses efforts pour intégrer ce premier travail sur l’éducation à la doctrine de Nichiren Daishonin. Il évoque cette nouvelle entrée en matière en ces termes : « Le but de l’association est de réaliser une rénovation approfondie de l’éducation, si importante pour l’avenir de la nation, et dont la révolution religieuse est la base. »

Lorsqu’il crée, en 1930, la Soka Kyoiku Gakkai, Association pour une pédagogie créatrice de valeurs, il utilise les valeurs de sa philosophie au coeur même de ses activités pour la transmission du bouddhisme de Nichiren Daishonin. Dans son roman La Révolution humaine4, Daisaku Ikeda écrit : « Pour expliquer le bouddhisme de Nichiren Daishonin à ses contemporains, Tsunesaburo Makiguchi avait utilisé sa “philosophie des valeurs”. »

L’administrateur du Taiseki-ji, Nittatsu5, a déclaré que le président Makiguchi était l’envoyé du Bouddha et que son rôle capital dans cette vie, pour le bien de l’humanité, avait commencé bien avant sa conversion. Makiguchi déclare lui-même : « Grâce à la pratique du bouddhisme, j’ai réussi à me libérer de certaines limites intérieures, qui m’empêchaient de former des voeux de grande envergure. »

Le bodhisattva « éducateur passionné »

Qui peut dire que le travail acharné de Tsunesaburo Makiguchi n’était pas celui d’un homme investi d’une mission ? Toute sa vie a été consacrée à la quête d’une pédagogie humaniste. Sa vocation l’entraîne à poser les fondations d’un mouvement qui allait porter l’idéal humaniste plus large du bouddhisme de Nichiren. Ce mouvement, tout d’abord constitué d’éducateurs, a ouvert les portes de l’« école de la vie » à ceux en quête de plus de dignité, de respect et de bonheur.

La philosophie des valeurs a permis la création de la Soka Gakkai. En cette année 2010, les orientations données par Daisaku Ikeda pour développer la cohésion nous ramènent à Tsunesaburo Makiguchi. Formulées il y a plus d’un demi-siècle, ses idées et propositions restent d’une totale actualité, La mise en place de réunions de discussion constitue un outil pédagogique qui permet à chacun de s’ouvrir et de se développer. Le mouvement Soka est bien l’« école des valeurs » prônée par Tsunesaburo Makiguchi, mise au service de la propagation du plus Grand Bien. Elle existe aujourd’hui dans 193 pays du monde.


Tiré de Troisième Civ' n°589, sept. 2010, p.12.

  • 1. John Dewey (1859-1952), philosophe américain spécialisé en psychologie appliquée et en pédagogie. Son système se rattache au pragmatisme.
  • 2. LesterWard (1841-1913), botaniste et sociologue américain. Pour lui, la science n’était pas froide ou impersonnelle, mais centrée sur l’humain
  • 3. Shigetaka Shiga (1863.1927), célèbre géographe japonais à qui Makiguchi montre son premier manuscrit, Impressionné par ses recherches, ce dernier l’encourage et lui promet son aide.
  • 4. La Révolution humaine, vol. 2, ACEP, p 150.
  • 5. Administrateur de la Nichiren Shoshu de 1959 à 1979.