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Dans sa théorie des valeurs, le fondateur du mouvement bouddhiste Soka, Tsunesaburo Makiguchi, avance le concept peu familier de « compétition humanitaire ». Focus sur une idée riche de sens...

Le côté positif de la compétition

Développé il y a cent ans dans l’ouvrage La Géographie de la vie humaine, ce concept a été repris à de nombreuses occasions par Daisaku Ikeda, notamment dans ses Propositions pour la paix de 2009.1

A priori, les mots « compétition » et « humanitaire » peuvent sembler incompatibles. Le terme compétition désigne, en général, la rivalité entre des personnes ou des organisations. Et cette rivalité devient néfaste dans une société où règne l’individualisme, car une société compétitive tend à diviser les gens entre gagnants et perdants, généralisant l'hostilité et l'indifférence. En un mot, quand on considère l’autre comme un adversaire, c’est la loi de la jungle – le plus fort exploite le plus faible.

La compétition est-elle pour autant un problème en soi ? Selon Tsunesaburo Makiguchi, c’est plutôt sa motivation qu’il faut changer. Car, lorsqu'elle s’exerce sur la base de valeurs humanistes, elle est utile en tant que source d’énergie et de vitalité.

Alors, comment faire pour ne pas entrer dans le mécanisme où l’on voit l’autre comme un ennemi ? Comment instaurer un dialogue et mener des actions qui aillent au-delà de nos différences, et qui permettent à chacun de révéler le meilleur de lui-même pour créer des valeurs dans la société ?

Percevoir l’humanité en chacun

Daisaku Ikeda écrit : « A l’origine, notre vie est en harmonie avec la Loi merveilleuse ; cependant, vivant dans un monde en proie aux conflits, nous avons tendance à nous laisser guider par l’égoïsme. Si bien que notre coeur est obscurci par les illusions et le karma, et que nous sombrons dans l’égarement et la confusion. C’est cela qui empêche la brillante lumière du monde éternel de la bouddhéité d’illuminer notre vie. »2

Pour sortir de l’égarement et de la confusion qui mènent aux conflits en tout genre, où l’autre est considéré comme un adversaire, la première chose que nous avons à faire est de nous éveiller à notre identité profonde. Il s’agit de reprendre conscience de la dignité et du potentiel immense de notre vie. Cela nous permet de changer également notre perception des personnes qui nous entourent. Mais, pour percevoir le potentiel de l’autre, il faut lutter avec soi-même, car « on ressent beaucoup moins de résistances à éprouver de l’amour envers quelqu’un d’éloigné et d’abstrait. L’amour n’est pas aussi évident à l’égard de quelqu’un de proche avec qui l’on ressent une certaine incompatibilité. Aimer de telles personnes exige cette sorte de lutte spirituelle qui engage tout notre être. »3

C’est en nous lançant ce genre de défi personnel que nous pouvons revenir aux racines primordiales de l’humanité, et voir la part d’humanité qui existe dans la vie de chaque personne. En étant animé par un grand but, la « compétition humanitaire » peut nous conduire à mener des actions positives et créatrices de valeurs pour la société.

Daisaku Ikeda a donné un exemple concret de ce concept, dans le domaine de la religion, dès 1961, lors d’un de ses premiers voyage à l’étranger : « Les religions pourraient rivaliser de manière humanitaire sur plusieurs plans : par exemple, à combien de personnes intègres se consacrant à la paix mondiale, chaque religion peut-elle donner naissance, ou encore, dans quelle mesure chacune sait-elle procurer courage et espoir au peuple. »4

Construire un monde “gagnant-gagnant”

Les actions qu’Hazel Henderson5 a menées pour améliorer l’environnement l’ont conduite à rechercher une nouvelle manière de concevoir l’économie – « nerf de la guerre » de toute activité, clé pour construire un monde “gagnant-gagnant”.

Elle propose une nouvelle approche de l’économie consistant à « réexaminer les vieilles règles de la concurrence, qui veulent que certains gagnent et que tous les autres perdent. Si nous agissons uniquement par souci de nos intérêts et conforts respectifs, la situation s’aggravera pour tout le monde. Lorsque certains spectateurs, dans un stade de football plein à craquer, insistent pour se tenir debout afin de mieux voir, tous les autres finissent par être obligés de se lever également, et, l’on aboutit à une situation où personne ne voit mieux et où tout le monde se retrouve dans une position inconfortable. Nous devons prendre conscience que c’est là le genre de monde dans lequel nous vivons. Mais, en revanche, si nous bâtissons une société meilleure pour tous les autres, nous obtenons aussi des résultats positifs pour nous-même. Il nous faut vivre en accord avec ce principe. »6

Pour créer cette dynamique de bienfait mutuel, Hazel Henderson a collaboré à la mise au point d’une nouvelle économie, avec les indicateurs de qualité de vie Calvert-Henderson, différents des seules données de croissance économique données par le PNB. En 2003, elle a contribué au rassemblement de sept cents statisticiens venus de plusieurs continents, pour redéfinir les critères de richesse et de progrès.

« Les nouveaux indices de Bonheur national brut du Bhoutan, reflétant les objectifs poursuivis par cette nation bouddhiste, illustrent l’importance de clairement définir les buts et les valeurs d’une société et de créer des indicateurs pour mesurer ce qui nous est le plus cher : santé, bonheur, éducation, Droits humains, famille, harmonie, paix, qualité et restauration de notre environnement. »7 Le point de départ doit être le bonheur de chaque être humain.

 

Article adapté de Cap n°824, novembre 2009.

  • 1. D&E-mai 2009.
  • 2. D. Ikeda, La Sagesse du Sutra du Lotus, vol. 3, Acep, p.106.
  • 3. D. Ikeda, D&E-mai 2009, 29.
  • 4. D. Ikeda, La Nouvelle Révolution humaine, vol. 5, Acep, p.122.
  • 5. Hazel Henderson : Futurologue et économiste évolutionniste, elle est également éditorialiste et consultante en développement durable. Outre Beyond Globalization, Building a Win-Win World et Creating Alternative Futures, elle a écrit cinq autres ouvrages et collaboré à l’élaboration des critères de qualité de vie Calvert-Henderson. Ces indicateurs couvrent les domaines de la culture, de la santé, de l’éducation, des revenus, de la sécurité, de la paix et de l’ordre public, comme autant de facteurs constituant la qualité de vie.
    Ses éditoriaux sont traduits en vingt-sept langues et diffusés auprès de plus de quatre cents journaux. Elle a rendu célèbre le slogan du scientifique René Dubos : « Penser globalement, agir localement ». Hazel Henderson fait partie de ces personnes qui, en tant que citoyen ordinaire, ont impulsé un mouvement apportant des solutions concrètes à des problèmes de société. Elle a donné naissance, à New York, au mouvement civique « Citoyens pour l’air pur » pour proposer des solutions aux problèmes environnementaux.
  • 6. H. Henderson et D. Ikeda, Pour une citoyenneté planétaire, L’Harmattan, 2005, p.171-172.
  • 7. Ibid., p.12.