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Le bouddhisme tibétain attire nombre d'occidentaux. Parce que la question des liens entre le bouddhisme tibétain et le bouddhisme de Nichiren est régulièrement posée, penchons nous sur cette tradition, son histoire et les éléments qui la rapproche ou la distingue de celle du bouddhisme de Nichiren.

Histoire

Selon certains, l’introduction du bouddhisme au Tibet remonterait à Lha Thothon Nyantsen, 28e roi du pays, au Ve siècle de notre ère.1

Des écrits bouddhistes parviennent pour la première fois au Tibet d’une façon miraculeuse : les volumes tombent du ciel sur le toit du palais royal. La réalité historique est plus prosaïque. Les missionnaires bouddhistes indiens seraient arrivés à ce moment-là. Le message du Bouddha va alors se greffer sur fond de croyances autochtones : la religion Bön, mélange d’animisme et de chamanisme.

Pour d’autres, le 33e souverain, Songtsen Gampo (mort en 650) est considéré comme le premier à avoir introduit le bouddhisme. Il donne au royaume du Tibet les frontières qui seront encore les siennes au début du XXe siècle.

Il fonde la capitale Lhassa, fait édifier deux temples et le premier bâtiment du palais du Potala, qui deviendra la résidence des dalaï-lamas, guides spirituels et politiques depuis le XVIIe siècle. L’un de ses ministres serait à l’origine de l’écriture tibétaine, adaptation d’une écriture indienne et de la grammaire sanskrite.

Au cours du Xe siècle, le bouddhisme connaît un nouvel essor. De nombreuses traductions et leurs commentaires sont à l’origine de la formation progressive des quatre grandes écoles du bouddhisme tibétain.2 Partageant le même héritage, elles ne se différencient que par l’accent particulier mis sur telle ou telle technique pour accéder à l’éveil. Pour le bouddhisme tibétain, l’éveil est « la profonde prise de conscience que l’homme ne fait qu’un avec la vérité ultime, la vacuité, symbolisée par le diamant inaltérable. »3

Le fondateur du courant Guélougpa, dont sont issus les dalaï-lamas, est Tsongkhapa (1357-1419). Comme Nichiren Daishonin avant lui, Tsongkhapa est considéré comme un grand réformateur. Il s’attaque au relâchement grandissant des moeurs dans les monastères sous l’influence de la dynastie mongole des Yuan (1271-1368)4 qui régnait à cette époque sur le Tibet. Il préconise un célibat strict pour les moines et l’observance rigoureuse des préceptes, d’où le nom de “Vertueux” donné aux moines de cette école. Il va aussi critiquer, non sans une certaine virulence, les écoles Nyingmapa et Kagylipa, en les accusant d’être trop fidèles à la doctrine de “l’éveil soudain” alors que, pour le courant Guélougpa, l’éveil ne peut être que le fruit d’une “voie progressive”.5

Le panchen-lama est le second chef spirituel de l’école Guélougpa. Il est, selon cet enseignement, une émanation du Bouddha Amitâbha (Amida en japonais).

Dalaï-lama et Panchen-lama

“Dalaï-lama” (“Océan de sagesse”) est le titre du chef de l’école Guélougpa. Il incarne le bodhisattva de la compassion (Kannon en japonais). Appelé Sa Sainteté, il est reconnu par toutes les écoles bouddhiques tibétaines (six millions de bouddhistes, soit 2% des bouddhistes dans le monde) comme guide spirituel et dirigeant politique. Actuellement, le 14e dalaï-lama, Tenzin Gyatso, né en 1935 au Tibet, vit depuis 1959 à Dharamsala dans le nord de l’Inde. Il y a établi le gouvernement des Tibétains en exil. Il a reçu le prix Nobel de la Paix en 1989.

Le “Panchen-lama” (“Grand érudit”) est le titre du second responsable spirituel au Tibet, également issu de l’école Guélougpa. Il reçoit une éducation religieuse spéciale. Le dalaï-lama et le panchen-lama sont liés spirituellement. Mais en 1995, Gedhün Tchôkyi Nyima, reconnu comme la 11e réincarnation du panchen-lama, a disparu à l’âge de 6 ans. La Chine a admis le détenir, mais refuse toujours d’en donner des nouvelles. Se référant à d’anciennes coutumes, elle a désigné la même année, son propre candidat Gyancain Norbi, non reconnu par les Tibétains.

Le dalaï-lama aborde la question de sa succession avec flexibilité, mais les lamas devant officiellement être reconnus par la Chine, la question reste en suspens. Le 28 mars 2008, il affirme : « J’ai toujours eu à coeur de trouver une véritable solution au problème du Tibet, qui garantisse les intérêts à long terme des Chinois comme des Tibétains. Mon principal souci est d’assurer la survie de la spécificité de la culture, de la langue et de l’identité du peuple tibétain. »

Principes

Le bouddhisme tibétain, appelé aussi Vajrayana (yana : véhicule ; vajra : diamant) est considéré par ceux qui y adhèrent comme un véhicule indépendant, un troisième véhicule, qui dépasse le Petit véhicule (Hinayana) et le Grand véhicule (Mahayana). D’autres préfèrent le considérer comme une nouvelle forme de Mahayana, ses thèses étant proches de celles du Grand Véhicule. Quoi qu’il en soit, il est interprété par ceux qui le pratiquent comme un aboutissement de l’enseignement bouddhique, comme l’est le Sûtra du Lotus pour les pratiquants du bouddhisme de Nichiren.

Vajra signifie à la fois “diamant”, indestructible et brillant comme l’ultime réalité, et “foudre”, destructrice de l’ignorance et symbole de rapidité.

Le bouddhisme tibétain enseigne que le bouddha Shakyamuni, en exposant les Quatre nobles vérités6 coeur du Petit Véhicule, a donné un “Premier tour de la roue de la Loi” L’enseignement du “Deuxième tour de la roue de la Loi” coeur du bouddhisme du Grand Véhicule, a trait à la “Perfection de la sagesse”. Il décrit la véritable nature de la réalité sans existence autonome la vacuité ( en japonais).

Cet enseignement mettait en avant l’idéal du bodhisattva. Mais Shakyamuni aurait donné un “Troisième tour de la roue de la Loi” un enseignement concernant la nature de l’esprit considérée comme dynamique, lumineuse et sage. Elle constitue la nature de bouddha présente chez tous les êtres. C’est ce que le bouddhisme tibétain nomme la “Claire Lumière ultime”. Cet enseignement est fondé sur des sûtras particuliers et les relie à ce que l’on appelle les tantra7 d’où le nom de tantrisme donné parfois au bouddhisme tibétain.

Les tantra bouddhiques, pour les Tibétains, constituent des instructions du bouddha Shakyamuni formant un recueil de rites et de pratiques magico-ésotériques, avec parfois une symbolique sexuelle. Ces instructions sont transmises secrètement. Elles permettraient d’atteindre plus rapidement la bouddhéité que ne le proposent le Hinayana ou le Mahayana. Les tantra les plus anciens furent d’abord transmis d’esprit à esprit, puis oralement. Si le disciple est un pratiquant qualifié — faisant l’usage de tantra supérieurs — le chemin vers l’éveil peut être parcouru en l’espace d’une seule vie. Sinon, il lui faut quelques vies avec des tantra dits inférieurs.8

Nagarjuna, le point de rencontre

Nagarjuna (entre 150 et 250 de notre ère), maître indien du Mahayana, eut une influence importante sur les principes du bouddhisme tantrique tibétain. Il est compté parmi les quatre-vingt-quatre “grands magiciens” de ce bouddhisme. Il est aussi considéré comme le premier patriarche du bouddhisme Shingon, versant ésotérique du bouddhisme au Japon. Nagarjuna est particulièrement connu pour son explication du principe de vacuité, lié à l’interdépendance de tous les phénomènes.

Sa théorie est appelée la doctrine de la Voie du milieu car elle est située entre idéalisme et matérialisme, entre ascétisme et hédonisme, et « transcendant l’être et le non-être. »9

D’autres religieux indiens se réclamant de la doctrine de la Voie du milieu jouissent d’une considération toute particulière dans le bouddhisme tibétain. Citons par exemple Chandrakirti (VIIe siècle) qui prônera un retour à l’enseignement de Nagarjuna et exercera une grande influence sur Tsongkhapa, fondateur de l’école Guélougpa.

Outre la reconnaissance du bouddha historique Shakyamuni, le principal point de rencontre entre l’enseignement de Nichiren et le véhicule de diamant est l’enseignement de Nagarjuna. Essentiellement, ils reprennent de Nagarjuna l’idée de non dualité entre le cycle des souffrances de la vie et de la mort (samsara) et l’éveil (nirvana). Ce que le bouddhisme de Nichiren exprime par le principe : “Les souffrances de la vie et de la mort mènent au nirvana”. La pratique bouddhique étant le moyen donné pour s’éveiller à cette non dualité.

Dans le bouddhisme japonais, Nagarjuna jouit d’un respect considérable. Il est considéré comme le fondateur de huit écoles, dont l’école Tendai qui « s’inscrit le plus directement dans la continuité théorique de la Voie du milieu »10 de Nagarjuna.

Cette école a exercé une influence particulière sur l’enseignement de Nichiren Daishonin.

A l’instar de Nagarjuna, l’école Tendai postule l’existence de trois vérités : ainsi, bien que toutes choses soient non substantielles par nature (vérité de la vacuité, kûtai en japonais), elles sont néanmoins une réalité provisoire et apparente, dans un mouvement de flux constant (vérité de l’existence temporaire, ketai). La vérité de la Voie du milieu (chûtai) est que tous les phénomènes, caractérisés par la vacuité et l’existence temporaire, ne sont, par essence, ni vacuité ni existence temporaire. La vraie nature de tous les phénomènes est au-delà des mots et des conceptions. L’enseignement parfait est, dans la classification des enseignements bouddhiques de l’école Tendai, celui qui représente ces trois vérités comme un tout, et non comme des entités séparées telles que le font des enseignements provisoires. C’est ce que l’on appelle l’unification des trois vérités. Selon Tiantai (538-597 — également écrit Tiantai), le fondateur de l’école en Chine, cet enseignement parfait est le Sûtra du Lotus11. Ces trois vérités formant un tout renvoient à la nature ultime de toute chose, à la véritable entité de tous les phénomènes (shohô jissô) exposée dans le deuxième chapitre du Sûtra du Lotus, et que Nichiren définira comme étant Nam-myoho-renge-kyo.

La pratique

Le bouddhisme de Nichiren Daishonin enseigne l’atteinte de la bouddhéité en cette vie grâce à un moyen (véhicule) unique et puissant : la récitation de Nam-myoho-renge-kyo devant le Gohonzon. Le Sûtra du Lotus est, selon la parabole des herbes médicinales de son 5e chapitre, une pluie bénéfique, la même pour tous, qui procure des bienfaits à chacun quels que soient ses besoins et ses conditions de vie.

Le bouddhisme tibétain met en avant d’autres moyens considérés comme efficaces. Ils sont toutefois complexes et varient en fonction de chaque pratiquant. Le maître spirituel (lama) occupe une place centrale pour guider le pratiquant vers l’éveil. En effet, le véhicule du diamant ne peut être pratiqué que sous la direction d’un maître spirituel. Ayant lui-même accompli la pratique, il est à même de conférer à son disciple la transmission de pouvoir ou initiation qui lui permet de pratiquer le tantra à son tour. Cette transmission est suivie de l’autorisation orale de pratiquer, qui consiste en instructions et en la lecture de textes, pour appliquer correctement la méthode enseignée.

Le spécialiste réputé du bouddhisme Edward Conze (1904-1979) disait même à propos du lien entre le maître et le disciple dans le bouddhisme tibétain : « Seul un Guru12, auquel nous sommes soumis en totale obéissance et qui tient lieu pour nous du Bouddha, saura traduire les véritables secrets et mystères de la doctrine. »13

Pour purifier ses perceptions et les transformer en “vision pure” (principe qui se rapproche de celui selon lequel les “désirs mènent à l’illumination” du bouddhisme de Nichiren), le pratiquant du bouddhisme tibétain visualise une divinité d’élection ainsi que son environnement sacré (mandala), en général choisis par le lama. Cette visualisation/méditation s’accompagne de la récitation de mantras et de gestes symboliques.14 Elle permet la fusion de soi avec sa propre nature de bouddha et le développement de qualités propres à l’éveil, comme la compassion, la sagesse...

A la différence du bouddhisme tibétain, le bouddhisme de Nichiren Daishonin considère qu’il n’existe aucune transmission secrète ou ésotérique de l’enseignement bouddhique, en dehors des sûtras.15


Article tiré de 3e Civ, n°566, octobre 2008, pp. 16-19. Par Bertrand R.

  • 1. Le Dalaï lama, Introduction au bouddhisme tibétain, Dervy, 1991, p. 21.
  • 2. Les quatre grandes écoles du bouddhisme tibétain : voir encadré ci-dessus.
  • 3. Dennis Gira, Comprendre le bouddhisme, Ed. Bayard/Centurion, 1989, p. 199.
  • 4. Raphaêl Liogier, A la rencontre du Dalai-lama, Éd. Flammarion, 2008, p. 76.
  • 5. Jean-Marc Vivenza, Nagarjuna et la doctrine de la vacuité, Ed. Albin Michel, 2001, p. 159.
  • 6. Quatre nobles vérités : la souffrance, son origine, sa cessation et le chemin qui mène à la cessation de la souffrance.
  • 7. Tantra : type de textes sacrés, leur contenu.
  • 8. Philippe Cornu, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Ed. Le Seuil, 2001, p. 657.
  • 9. Daisaku Ikeda, Bouddhisme - Premier millénaire, Le Rocher, 1985, p.157.
  • 10. Jean-Marc Vivenza, Nagarjuna et la doctrine de la vacuité, p. 159.
  • 11. Le Sûtra du Lotus fut traduit en tibétain au IXe siècle. Il est considéré dans le bouddhisme tibétain comme partie intégrante du “Deuxième tour de la roue de la Loi” donné par Shakyamuni.
  • 12. Lama, ou Guru en sanskrit : guide spirituel.
  • 13. Edward Conze, Le Bouddhisme, Petite Bibliothèque Payot, 1995 (ire édition en anglais en 195i), p. 208.
  • 14. Philippe Cornu, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Ed. Le Seuil, p. 657.
  • 15. Voir, entre autres: Parvenir directement à la bouddhéité grâce au Sûtra du Lotus (L&T vol. 6, p. 198) et Enseignement, pratique et preuve (L&T vol. 4, p. 139).

Les quatre grandes écoles du bouddhisme tibétain

  • Nyingmapa, “les Anciens” : la plus ancienne des traditions du bouddhisme tibétain. Le maître bouddhiste indien Padmasambhava (VIIIe siècle), considéré comme le fondateur du bouddhisme tantrique (Vajrayana, “véhicule de diamant”). L'accent est mis sur la méditation et l’éveil soudain.
  • Kagyiipa, voie de la “Transmission orale”. Fondée à partir d’enseignements indiens, au XIe siècle. Divisée en de très nombreuses branches, dont:
    • Karma Kagyü, la mieux implantée en dehors des régions himalayennes, avec à sa tête le Karmapa, chef spirituel. (L'identité actuelle du Karmapa est activement disputée entre deux candidats).
    • Droukpa Kagyü, religion officielle du Bhoutan. L’accent est mis sur la pratique individuelle.
  • Sakyapa, “Terre claire”. Son nom vient des collines du Tibet central où le moine Khôn Kônchog Gyalpo (1034-1102) fonda en 1073 le monastère de Sakya, berceau de la tradition. L’accent est mis sur le rituel et les études métaphysiques.
  • Guélougpa, “les Vertueux”, dits encore les “Bonnets jaunes” (les autres écoles ont des bonnets rouges). La plus récente des quatre écoles et celle dont sont issus les dalaï-lamas et les panchen-lamas. Elle fut fondée par le moine Tsongkhapa [1357-1419). L’accent est mis sur la vie monastique et les études philosophiques approfondies.

Source : Bureau du Tibet / tibet-info.net - 3 septembre 2006.