• #Principe philosophique

La Voie du milieu est un terme bouddhique qui comporte de nombreuses connotations. Pour simplifier, il suggère une approche équilibrée de la vie et la régulation des instincts et du comportement de chacun. Ce concept se rapproche de l’idée de « juste milieu » d’Aristote, selon laquelle « chaque vertu se situe à égale distance des deux extrêmes, chacun de ces extrêmes étant par conséquent un vice ».

Toutefois, bien que le terme « milieu » suggère un équilibre, il ne faut pas confondre la Voie du milieu avec la passivité ou une forme de compromis modéré. S’engager dans la Voie du milieu demande au contraire des efforts permanents.

Une description de la réalité de la vie

Au sens le plus large, la Voie du milieu désigne la réalité de la vie, ainsi que les actions en adéquation avec cette réalité - actions créatrices de valeurs pour soi et pour les autres. Ainsi, le bouddhisme lui-même est parfois désigné comme la Voie du milieu, ce qui indique une transcendance et la réconciliation de points de vue divergents.

Toutes ces idées sont illustrées par la vie de Shakyamuni lui-même, telle que nous l’a rapporté la légende. Né prince, Shakyamuni a été élevé dans la joie et le confort matériel. Mais, ne pouvant se satisfaire de la poursuite de plaisirs éphémères, il quitte sa famille à la recherche d’une vérité plus profonde et plus durable. Il entre dans une période de pratique ascétique extrême, se privant de sommeil et de nourriture, ce qui l’amène au bord de l’effondrement physique. Ressentant la futilité de cette voie, il commence à méditer, profondément déterminé à comprendre la vérité de l’existence humaine, qui lui a échappé autant dans sa période d’ascétisme que dans sa période d’opulence. C’est à ce moment-là que Shakyamuni s’éveille à la véritable nature de la vie, à son éternité, à sa source profonde de vitalité et de sagesse infinies.

Par la suite, dans le but de guider ses disciples vers la même Voie du milieu, il enseigne l’octuple voie : huit principes, tels que l’action juste, la parole juste, etc., en vertu desquels chacun peut déterminer son comportement et développer la vraie connaissance de soi.

Depuis, à différentes périodes de l’histoire du bouddhisme, les érudits bouddhistes ont tenté de clarifier et de définir la vraie nature de la vie. Aux alentours du 3e siècle, la théorie de Nagarjuna sur la nature non-substantielle de l’univers expliquait qu’il n’existe aucun « objet » permanent derrière le phénomène en constante évolution de la vie, que la réalité ne s’appuie sur rien de fixe. Pour Nagarjuna, cette conception était la Voie du milieu, le point de vue fondamental sur la vie.

La vie est une réalité difficile à saisir qui échappe aux mots et aux concepts d’existence comme de non-existence. Elle n’est ni existence, ni non-existence, et pourtant manifeste tantôt l’un de ces aspects, tantôt l’autre. C’est l’entité mystique de la Voie du Milieu, réalité unique de toutes choses.
Sur l'atteinte de la bouddhéité en cette vie, L&T-I, 3.

Les idées de Nagarjuna ont ensuite été développées par Tiantai (Zhiyi) dans la Chine du 6e siècle. D’après lui, tous les phénomènes sont la manifestation d’une seule entité, la vie elle-même. Cette entité de vie, que Tiantai appelait la vérité de la Voie du milieu, présente deux aspects : un aspect physique et un aspect non-substantiel. Le fait d’ignorer ou de privilégier l’un d’entre eux nous donne une image erronée de la vie. Par exemple, nous ne pouvons pas conceptualiser de façon réaliste une personne à laquelle il manquerait un aspect physique ou un aspect mental ou spirituel. Tiantai a ainsi clarifié l’interrelation indivisible entre le physique et le spirituel. C’est de là que proviennent les principes bouddhiques de l’inséparabilité du corps et de l’esprit et de l'inséparabilité de soi et de l’environnement.

La Voie du milieu en tant que pratique

À son tour, Nichiren (1222-1282) donne une forme concrète et pratique à ces concepts, parfois très abstraits. S’appuyant sur les enseignements du Sûtra du Lotus, Nichiren désigne Nam-myoho-renge-kyo comme la Voie du milieu et enseigne que sa récitation peut permettre à chacun d’harmoniser et de dynamiser les aspects physiques et spirituels de sa vie, et de s’éveiller à la vérité la plus profonde de son existence.

De ce point de vue, la vie, la sagesse et l'énergie vitale qui pénètrent le cosmos et se manifestent à travers tous les phénomènes, est une entité qui transcende et harmonise les contradictions apparentes entre le physique et le mental, et même entre la vie et la mort.

Les individus et les sociétés dans leur ensemble s’orientent souvent vers une conception de la vie à dominante matérielle ou à dominante spirituelle. Les effets négatifs du matérialisme qui envahit le monde industrialisé moderne sont visibles à tous les niveaux de la société, de la destruction de l’environnement à l’appauvrissement de la spiritualité. Toutefois, repousser d’emblée le matérialisme équivaut à l’idéalisme ou à l’évasion et compromet notre capacité à répondre de manière constructive aux défis posés par la vie.

L’historien Eric Hobsbawm a intitulé son livre sur le 20e siècle « L'âge des extrêmes ». En effet, la violence et les déséquilibres aberrants qui caractérisent cette période renouvelle la nécessité de trouver de nouveaux moyens de réconcilier pacifiquement des opposés apparents. Si l’humanité doit trouver une Voie du milieu vers une société créative globale lors du 21e siècle, l’élément le plus essentiel réside dans une nouvelle compréhension et un respect renouvelé du caractère sacré et inviolable de la vie.