La foi, ou croyance, et la raison sont jugées en général comme fondamentalement opposées. Beaucoup de personnes estiment que toute forme de croyance, la croyance religieuse en particulier, dénote une capacité de raisonnement insuffisante ou constitue une béquille intellectuelle. Pourtant cette âpre opposition supposée entre croyance et raison, issue de la pensée moderne, est aujourd’hui réexaminée.
Les philosophes du XXe siècle, tels que Ludwig Wittgenstein et Ortega y Gasset, expliquent que chacun de nous vit, agit et pense à l’intérieur d’un système de croyances largement inconscient, sans lequel nous serions incapables de réfléchir ou d’agir. “Nos croyances sont déjà en action dans les profondeurs de notre vie lorsque nous concevons une pensée”, écrit Ortega y Gasset. La raison, en ce sens, repose sur les croyances. Si celles-ci sont les fondations de la vie, nous n’avons pas réellement le choix de croire ou pas. En revanche, nous pouvons choisir ce en quoi nous croyons, ce que sera l’essentiel de notre foi.
Connaissance ou sagesse ?
Selon la tradition bouddhique, la relation entre foi et raison constitue un objet d’analyse constante depuis les temps anciens. Bien que, d’après cette tradition, l’éveil du Bouddha ne puisse être compris ni exprimé dans sa totalité par la raison ou le langage, le bouddhisme a toujours considéré que raison et langage devraient être tenus en haute estime.
Si l'éveil du Bouddha transcende le monde de la raison, il n’est pas irrationnel et peut être examiné rationnellement. La foi dans les enseignements du Bouddha implique un examen intellectuel qui, non seulement engage des capacités analytiques mais cherche aussi à développer la sagesse intuitive résidant au niveau spirituel le plus profond chez l’être humain. L'étude et le savoir peuvent ouvrir la porte à la sagesse ; mais c’est la sagesse qui nous permet d’utiliser les connaissances de la façon la plus humaine et avec leur plus riche valeur. On peut soutenir que la confusion entre connaissance et sagesse est à l’origine des maux actuels de la société.
Nichiren a ainsi conçu et exposé ses enseignements de manière très rationnelle. Il était réputé pour son érudition et sa volonté de débattre avec les autres écoles religieuses. Un grand nombre de ses principaux textes prennent la forme dialectique de questions, où s’expriment les doutes, et de réponses leur apportant des solutions.
La foi, selon le Sûtra du Lotus
Sraddha, prasada et adhimukti sont les trois termes sanskrits traduits dans le Sûtra du Lotus par “foi” ou “croyance”.
- Sraddha, définie comme la première étape de la pratique bouddhique, signifie “éveiller la foi” ainsi qu’”être curieux de”. Ce terme possède le sens de crainte admirative ou émerveillement qui semble être à la source de tout sentiment religieux.
- Prasada exprime l’idée de pureté et de clarté. Dans la perspective bouddhique, on peut dire que l’objectif correct de la foi est la purification de l’esprit, afin de permettre à notre sagesse inhérente de jaillir.
- Adhimukti veut dire littéralement l’intention, c’est-à-dire l’orientation de l’esprit ou de la volonté de la personne. C’est l’attitude mentale consistant à approfondir sa compréhension, à se cultiver et à polir sa vie en tendant vers la perfection de l’état suprême de prasada.
Ainsi la foi purifie la raison, la renforce et l’élève, tout en constituant un moteur pour le perfectionnement continu de soi-même. Daisaku Ikeda définit ainsi la foi comme “un esprit de recherche ouvert, un coeur pur et une pensée flexible”.
Les termes ci-dessus contrastent avec bhakti, un autre mot sanskrit pour la foi. Bhakti, signifiant à l’origine “devenir croyant de”, indique une foi associée à la pratique de s’en remettre à une déité transcendantale, de chercher à ne faire qu’un avec elle. Ce terme est en fait très peu utilisé dans les textes bouddhiques.
La synthèse entre foi et raison
On semble considérer à l’époque moderne que l’intellect est une faculté indépendante qui opère de manière autonome, sans lien avec les sentiments ou les croyances. Pourtant, il est de plus en plus évident que de nombreuses orientations, telles que le déploiement d’efforts en vue de la maîtrise technologique de la nature, découlent de croyances et jugements de valeur très subjectifs.
Ce qu'il faut atteindre aujourd’hui est une unification de la croyance et la raison, en embrassant tous les aspects de la vie de l’être humain et de la société, en y intégrant les percées de la science moderne. Cela doit permettre d’essayer de restituer son unité à la société humaine qui a été écartelée entre deux extrêmes, d’une part la raison, artificiellement séparée de la croyance, et d’autre part le fanatisme religieux irrationnel.
La synthèse entre ces deux parties proviendra d’un dialogue fondé sur le respect mutuel. Le dialogue doit être entamé, non pas avec le désir d’asseoir une quelconque supériorité sur l’autre partie, mais avec l’intention d’étudier, de creuser pour extraire des veines de vérité plus profondes et plus riches. Cela sera possible uniquement si tous les participants gardent fermement à l’esprit l’objectif ultime du bonheur des êtres humains. Telle position, approche ou croyance particulière permet-elle de faire avancer la condition humaine ou bien la fait-elle reculer ? Sur cette seule base, un dialogue entre la foi et la raison peut créer des valeurs authentiques et durables pour l’humanité.
Tiré de 3e Civ' n°549 - mai 2007, p.17. Traduit du SGI Quarterly, octobre 2001.
Unifier la croyance et la raison en y intégrant les percées de la science moderne, embrasserait tous les aspects de la vie de l'être humain et de la société.