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Par Yoichi Kawada, directeur de l’Institut de Philosophie Orientale (IOP), Tokyo. Traduit de Contemporary Civilization and the Restoration of the Poetic Soul, publié dans le Journal of Oriental Studies, vol. 18, 2008.

Cet essai a été originellement présenté lors d’une conférence organisée conjointement par l'IOP et la World Poetry Society Intercontinental, le 5 octobre 2007, à Chennai, en Inde. Lors de cette conférence, dont le thème était “La poésie pour la paix mondiale, l'harmonie et l'humanisme”, le titre de “Poète des peuples du monde” a été conféré à Daisaku Ikeda, en reconnaissance de ses efforts inlassables pour encourager et donner de l'espoir à travers la poésie.




Dans son poème, « Le Bouddha : la victoire de l’humanisme », le Dr Krishna Srinivas1 médite sur la nature de la vie et de la mort, l’éternité de la vie humaine et la vie du grand univers.

« La vie et la mort
Sont des expressions du courant éternel de la vie
Et tous les courants individuels
Fusionnent avec la réalité fondamentale
Du vaste univers
Le courant global
Est une marée cosmique –
Tout est UN et INDIVISIBLE,
Toutes les fonctions incessantes
De la Loi merveilleuse,
Ne font qu’une avec les tréfonds et l’univers. »2

« D’où viens-je ? Où vais-je ? Quel est le but de mon existence ? » La quête du sens ultime et du but de la vie a été menée par d’innombrables philosophes, suivant les traces des maîtres des Upanishads et du Bouddha Shakyamuni, à l’Est et de Socrate et Platon, à l’Ouest. Ces questions éternelles demeurent le thème central de la philosophie et de la religion, et continuent à être posées chaque fois que l’humanité est confrontée à une crise d’identité.

Depuis que l’humanité est entrée dans le XXIe siècle, particulièrement, ces questions fondamentales sont devenues de plus en plus critiques. A l’aube de ce nouveau siècle, dans sa Proposition pour la paix annuelle, Daisaku Ikeda, président de la Soka Gakkai Internationale, analysait le besoin impérieux d’apporter des réponses à cette crise d’identité, alors que le processus de mondialisation progresse rapidement.

Incapables de soutenir la férocité et la rapidité de la mondialisation, les gens se retirent de plus en plus profondément en eux-mêmes, se barricadant à l’intérieur d’eux-mêmes. Frappés par les tempêtes d’un changement vertigineux, ils recherchent désespérément un sol solide, une base ferme sur laquelle mener leur vie. Sûrement, alors que nous entrons dans un nouveau siècle, ce paysage spirituel désolé mérite au moins autant d’attention que les problèmes globaux qui s’accumulent régulièrement.
Toward a Culture of Peace – A Cosmic View (Proposition pour la paix 1999)

L’ego de l’homme contemporain, se débattant dans les ténèbres de l’incertitude, incapable de surmonter les rudes vagues de la mondialisation, est sans cesse coupé des autres, de la société et de l’environnement, et réduit à un petit soi isolé. De plus, il est séparé des choses éternelles qui sont la base de l’existence. Il flotte de ça de là, comme une plante sans racine dans les courants implacables de la civilisation matérialiste de notre temps.

Séparé des autres et manquant de fondation solide, il lui est facile de dériver vers la solitude, l’isolation et la stagnation, qui engendrent à leur tour vice, haine, désespoir, tristesse, angoisse et peur, et conduisent finalement à la guerre, au conflit, à l’intolérance et à la discrimination. En outre, l’avidité pour les choses matérielles, l’autoritarisme, la recherche des honneurs et de la célébrité sont rampants dans la société, et créent toutes les conditions pour l’exploitation des autres et de l’environnement.

De ce point de vue, la crise d’identité d’un côté et les divers problèmes globaux de l’autre sont contigus. L’ego est pris entre les deux, arraché à toute chose, tourmenté par l’incertitude, envahi par le sentiment d’être seul dans un monde vaste et vide.

La condition préliminaire et cruciale pour surmonter une telle crise d’identité et de s’éveiller au sens de la vie et de la mort, et de lutter contre l’énergie puissante de séparation qui prévaut dans notre civilisation matérialiste, de lutter pour régénérer le lien entre soi et l’univers extérieur, incluant les autres, notre famille, l’humanité et l’environnement. Dans le même temps, nous devons partir à la recherche de notre univers intérieur, qui est à la base de notre existence, afin de faire fusionner notre vie avec celui-ci.

La poésie, thème de cette conférence, est le moyen par lequel la fusion des univers extérieur et intérieur au soi est accomplie ; le moyen par lequel nous comprenons la mission qui nous est confiée par le cosmos. Le pouvoir de la poésie peut accomplir cette noble tâche.

Dans un essai en hommage au Dr Srinivas, Daisaku Ikeda définit le poète comme celui qui « voit l’éternité », qui « se tient sur l’horizon du temps sans commencement », qui « comme un chercheur des lois invisibles de l’univers, voit toute chose comme l’expression de la merveille de la vie », et qui « sait que l’éternité imprègne tous les aspects de nos vies soi-disant “ordinaires”. » Et il ajoute : « Les poètes sont aussi des combattants… Le traitement inhumain infligé à ne serait-ce qu’une seule personne, n’importe où dans le monde, est intolérable à leur coeur. »3

L’éternité, l’horizon du temps sans commencement et la merveille de la vie mentionnés dans ces lignes sont ce à quoi le Dr Srinivas se réfère lorsqu'il parle de la Loi mystique – ou merveilleuse –, la vie de l’univers elle-même. Un poète ressent continuellement, à travers sa sensibilité aiguë, la vérité de l’éternité et de la Loi bouddhique (Dharma) et exprime ces sentiments. Il a l’intuition que la vie de l’univers et le Dharma sont présents au cœur de tous les phénomènes, vibrants et dynamiques, et il trouve les mots pour traduire l’émerveillement qu’il en éprouve. C’est pourquoi le poète est à même d’ouvrir la vie de ceux dont l’ego est affaibli et isolé, et imprégner leur cœur des choses éternelles. La vie de l’univers œuvre à élargir l’ego étroit et à insuffler du courage, de la joie et du sens à travers la compassion, la sagesse et la volonté que contiennent la Loi. De cette manière, les mots et les actions du poète relient le cœur d’une personne à la vie fondamentale de l’univers, lui permettant ainsi de se régénérer.

Lorsque cette connexion perdue avec l’univers est restaurée, un cœur fermé peut entreprendre de renforcer sa bonne volonté et de s’ouvrir, soutenu par le souffle de l’éternel. L’empathie à l’égard des autres, le pouvoir de la compassion, la sagesse de vivre en harmonie avec les autres, la maîtrise des pulsions négatives : tout cela devient manifeste, et permet de restaurer et de renforcer le lien de confiance avec les autres. (…) La bonne volonté est la clé pour rétablir les liens entre la famille, la société et la nature.

Dans le même temps, cette bonne volonté propre à l’esprit poétique s’oppose aux forces de division qui cherchent à couper les liens entre les individus, la société, la nature et le plus grand univers, au travers des illusions que sont la violence, les discriminations, les préjugés, l’avidité. La bonne volonté dissipe l’esprit de division dans la société et cherche, au contraire, à aider les gens à surmonter ensemble leurs souffrances. La compassion, la non-violence, la confiance et la sagesse qui perçoit la relation de symbiose entre toutes les vies promeuvent l’empathie et la sympathie envers autrui qui, à leur tour, élargissent le réseau de bonté et repoussent les illusions qui envahissent la société. C’est pourquoi l’esprit poétique est pétri d’une compassion infinie, en même temps que du courage de lutter contre le mal.

Ainsi, ceux qui se consacrent à la poésie œuvrent à élargir l’ego, à travers de riches échanges entre le cosmos intérieur et extérieur, emprunts de bienveillance, de sagesse et de courage. Ils aident à donner du sens à l’existence et à la mission qui est la nôtre en tant qu’êtres humains.

Les premier et deuxième présidents de la Soka Gakkai, respectivement MM. Tsunesaburo Makiguchi et Josei Toda, furent tous deux emprisonnés durant la Seconde guerre mondiale pour leur opposition à la politique militariste du gouvernement japonais. Bien que Makiguchi soit décédé en prison, Toda a non seulement survécu, mais il est parvenu à un état de vie suprême durant son incarcération. Il a atteint l’illumination, manifestant la vie universelle, grâce à la lecture du Sûtra aux sens infinis et du Sûtra du Lotus, et en pratiquant la récitation de Nam-myoho-renge-kyo de manière intensive.

Tout d’abord, il parvint à une réalisation concernant la vie universelle : « Le Bouddha est à la fois la vie elle-même, et son expression. Il n’existe pas à l’extérieur de nous-mêmes, mais en nous. Non, il existe à l’extérieur de notre vie aussi. C’est la vie de l’univers entier ! »4 Puis il prit conscience de la mission de sa vie, confiée par la vie éternelle de l’univers : la mission des bodhisattvas sortis de la terre du Sûtra du Lotus.

Dans sa Théorie de la bienveillance, Josei Toda parle de la vie universelle en ces termes : « L’univers dans son intégralité est la substance du Bouddha, et tous les phénomènes de l’univers sont l’œuvre de la bienveillance. Ainsi, la bienveillance est la nature inhérente de l’univers. »5 Toda explique aussi ce qu’il croit être la mission des êtres humains, en tant qu’entités de la vie de l’univers : « Puisque l’univers lui-même est bienveillance, ceci veut bien sûr dire que nos activités quotidiennes sont l’œuvre même de la bienveillance. Parce que nous avons le privilège de vivre en tant qu’êtres humains, nous ne devons pas descendre au même niveau que les animaux ou les plantes. Mener des activités exaltées est l’attitude de ceux qui se dévouent vraiment à servir le Bouddha. »6 Et il conseille également de « vivre avec la conscience de la bienveillance. »7

Le fonctionnement du grand cosmos est une manifestation de la bienveillance de la vie universelle et de la Loi bouddhique (Dharma). La lumière mystique de la bienveillance et de la sagesse de la vie universelle brille dans le mouvement de tous les êtres vivants. Les poètes et les artistes découvrent, à l’intérieur de la vie, la beauté de la création de la Loi merveilleuse, en sont touchés, et cherchent à exprimer ce qu’ils ressentent pour le partager avec les autres.

Les personnes religieuses, tout en manifestant la dignité de la vie universelle, mettent en pratique la mission universelle de la vie qui fut confiée à l’humanité par le grand cosmos. Dans cette perspective, les poètes, artistes et personnes religieuses débordent de l’esprit poétique, car ils ont tous pour fondation le fonctionnement de la vie universelle. L’esprit poétique est ce qui nous pousse à accomplir notre mission universelle. En bouddhisme, le terme « bodhisattva » désigne ceux qui participent au fonctionnement bienveillant du grand univers, et œuvrent à en étendre les effets.

Le Sûtra du Lotus décrit de nombreux bodhisattvas, tels que le Roi-Médecin, Sons-merveilleux, Sensible-à-tous-les-sons-du-monde, Sagesse-universelle, Manjushri, et d’autres, apparaissant dans d’autres sûtras. En outre, des bodhisattvas d’un type particulier apparaissent exclusivement dans le Sûtra du Lotus et constituent les figures centrales du récit. Il s’agit des « bodhisattvas sortis de la terre », appelés ainsi car ils apparaissent en brisant le sol et en jaillissant hors de terre, symbolisant leur filiation avec la vie universelle.

Dans le 15e chapitre du Sûtra du Lotus, « Jaillir de terre », leur apparence est décrite en ces termes :

Tandis que le Bouddha prononçait ces paroles, le sol du milliard de terres du monde saha se mit à trembler et à s’entrouvrir, et au même instant en surgirent d’innombrables milliers, dizaines de milliers, millions de bodhisattvas et mahasattvas. (…) Jusqu’alors, ils avaient résidé tous dans l’espace vide au-dessous du monde saha, mais le fait d’entendre la voix du Bouddha Shakyamuni avait fait surgir de terre ces bodhisattvas. (…) Parmi ces bodhisattvas se trouvaient quatre guides. Le premier s’appelait Pratiques-supérieures, le deuxième s’appelait Pratiques-sans-limites, le troisième s’appelait Pratiques-pures et le quatrième, Pratiques-fermement-établies. Ces quatre bodhisattvas étaient les guides les plus importants et les maîtres les plus éminents de tout le groupe.
SdL-XV, 207-208.

Le grand maître chinois Tiantai, dans ses commentaires, Mots et phrases du Sûtra du Lotus, interprète le passage « ils avaient résidé tous dans l’espace vide au-dessous du monde saha » comme désignant « les profondeurs de la nature du Dharma, la région ultime de la profonde source. »8

En d’autres termes, l’« espace vide » indique la réalité fondamentale qui sous-tend tous les phénomènes, c-a-d la Loi (Dharma) de la vie universelle révélée dans les profondeurs de l’enseignement ultime.

Dans le Recueil des enseignements oraux, Nichiren observe : « Le feu a pour fonction de brûler ; l’eau, de purifier ; le vent, de disperser la poussière et la saleté ; la grande terre nourrit les plantes et les arbres »9 montrant ainsi que les quatre éléments que sont la terre, l’eau, le feu et le vent manifestent la bienveillance créatrice du cosmos, la vérité de la vie de l’univers.

Le feu a pour fonction de brûler et d’éclairer, l’eau celle de purifier, le vent disperse la poussière, et la terre a pour fonction de nourrir tous les êtres vivants. Ces quatre éléments, constitutifs du cosmos, sont des bienfaits naturels qui sont sans cesse à l’œuvre en tant que fonctions de la bienveillance de l’univers.

De la même manière, les bodhisattvas sortis de la terre agissent en accord avec le fonctionnement de la vie universelle, en mettant leur propre vie à contribution. Ils surgissent du « grand vide » de la vie et font du fonctionnement créatif de ces quatre éléments le leur. Nichiren décrit ainsi les quatre éléments en relation avec les quatre grands bodhisattvas, guides des bodhisattvas sortis de la terre10. Et il cite les Commentaires des Mots et phrases du Sûtra du Lotus qui fait correspondre ces quatre bodhisattvas – Pratiques-supérieures, Pratiques-sans-limites, Pratiques-pures, Pratiques-fermement-établies – aux quatre vertus : véritable soi, éternité, pureté et bonheur. Ces quatre vertus sont contenues dans la vie du Bouddha.

« …l’explication donnée dans le neuvième volume des Mots et Phrases dit : “Les quatre guides décrits dans ce passage du Sûtra représentent les quatre vertus. Pratiques-supérieures représente la vertu du véritable soi. Pratiques-sans-limites représente la vertu de l’éternité. Pratiques-pures représente la vertu de la pureté. Et Pratiques-fermement-établies représente la vertu du bonheur. Parfois une personne possède tous les quatre principes à la fois.” »11

En se penchant de plus près sur cette idée d’« une personne qui possède tous les quatre principes à la fois », nous voyons que Pratiques-supérieures représente le véritable soi. Le soi dont il est question ici est le « grand Soi »12, qui ne fait qu’un avec la vie universelle – et non pas le « petit ego » de l’humanité contemporaine, isolé et habité par la peur et l’incertitude. Le grand Soi est relié à la Loi (Dharma) du grand cosmos, internalisant son rythme de bienveillance et de sagesse. Ce grand Soi transforme le feu des illusions de la société en lumière brillante, illuminant les recoins obscurs de la civilisation ; il lutte contre le mal, le surmonte et le transforme en une force pour le bien. C’est l’agent principal ayant pour mission de sauver les personnes ordinaires – une mission confiée par la vie universelle. Le grand soi, qui a brisé la coquille du petit ego, jette un pont de compassion et de sagesse vers les autres : la famille, les membres de la même ethnie, la nation, l’humanité et la nature ; il élève la conscience, la faisant changer de cadre de référence : de l’humain à la vie. Je pense que cette notion de « grand Soi » traduit magnifiquement ce que nous appelons aujourd’hui la « citoyenneté mondiale ».

Le grand Soi du bodhisattva Pratiques-supérieures manifeste la vertu d’éternité de Pratiques-sans-limites. L’éternité, comme le vent, disperse les obstacles et donne la liberté d’agir, dans le temps et l’espace. Cette vertu, incarnée par Pratiques-sans-limites, forme la base de la notion de Liberté, dans la perspective bouddhique des droits humains. Bien des limitations imposées par la société proviennent du mal de l’autoritarisme – l’oppression politique, sociale et idéologique. Mais le grand Soi est capable de s’élever au-dessus de ces limitations en manifestant un degré de Liberté qui s’étend à l’univers entier.

En outre, le grand Soi de Pratiques-supérieures manifeste la vertu de Pureté incarnée par Pratiques-pures. La pureté signifie protéger les droits humains au niveau collectif, surmonter la discrimination, les préjugés, l’avidité, l’exploitation, et l’attachement obsessif pour la race, le sexe, la culture, la religion, l’argent, le statut social ou l’emploi.

La purification de la société implique l’Egalité en ce qui concerne les besoins primaires tels que l’éducation, la santé, l’eau et la nourriture, de même qu’un système de redistribution équitable des richesses. Afin de créer une telle société, les bodhisattvas doivent donner l’exemple et se purifier eux-mêmes de leurs propres discriminations et préjugés, afin d’aider la société à se purifier et à établir l’égalité. La vertu de la pureté manifestée par Pratiques-supérieures inclut de ne pas être influencé par les illusions que sont la discrimination et les préjugés, tout en travaillant à purifier la société de ces illusions.

Le grand Soi de Pratiques-supérieures, doté des vertus de Liberté et d’Egalité déjà mentionnées, cherche à faire naître la joie pour soi et les autres. C’est la vertu de Bonheur, incarnée par Pratiques-fermement-établies. Créer la joie implique aussi d’assurer la Stabilité au niveau individuel ainsi qu’au niveau de la société et de la nation. A l’heure actuelle, la société est construite sur la base d’une violence structurelle et culturelle qui génère un sens profond d’inégalité et d’oppression, alimentant un cycle de haine conduisant à des formes directes de violence, telles que guerres, conflits et terrorisme. Cette violence affecte non seulement la société humaine mais détruit également la nature et l’écosystème, créant les conditions du dérèglement climatique affectant toutes vies sur la planète.

La vertu de Bonheur de Pratiques-fermement-établies s’exprime par l’esprit de combattre le mal et l’illusion, de se débarrasser de la peur et de l’insécurité, en créant paix et stabilité à la place. Au niveau individuel, la vertu de bonheur se manifeste par une personnalité équilibrée. Le bonheur qui vient de l’harmonie entre le corps et l’esprit est bien différent du bonheur superficiel qui vient du laisser-aller. De plus, comme l’enseigne la sagesse bouddhiste de l’origine interdépendante, le bonheur individuel ne peut pas être établi sans œuvrer simultanément à celui des autres. Par conséquent, ceux qui cherchent à atteindre le bonheur personnel doivent également mener des actions pour réduire la distance entre eux-mêmes, les autres et la société, et s’opposer à la peur, la haine et l’animosité qui abondent.

C’est pourquoi un réseau pour le bien est nécessaire afin de créer le bonheur pour soi et les autres. La vertu du bonheur appelle à la coexistence pacifique dans la société, et entre l’humanité et la nature, et sert de base pour les droits humains, le développement durable et la défense de l’environnement et, avant tout, le droit de créer un réseau pour bien vivre ensemble.


Pour résumer, la vertu du grand Soi de Pratiques-supérieures – l’Eternité, incarnée par Pratiques-sans-limites ; la Pureté incarnée par Pratiques-pures ; le Bonheur incarné par Pratiques-fermement-établies – et l’effort pour manifester ces vertus dans sa vie et celle des autres, sert de modèle pour tout citoyen du monde doté d’un esprit poétique.

En 1992, Daisaku Ikeda a écrit un poème aux pratiquants bouddhistes de la SGI-Italie, les exhortant à briser la coquille du petit ego, surmonter les souffrances et les illusions qui découlent de l’énergie de la division, manifester le grand Soi capable de ressentir profondément à la fois la vérité et la vie de l’univers, ainsi que jeter un pont de coexistence pacifique entre eux-mêmes et les autres.

« Selon Tagore,
En sanskrit, les oiseaux
Sont décrits comme étant “deux fois nés” –
“La première fois dans leur coquille limitée et, finalement,
Dans la liberté du vaste ciel.”

C’est tout à fait vrai –
Vrai également pour les êtres humains.

Nés dans ce monde,
Nous devons briser la coquille étroite
Du “petit ego”
Et naître à nouveau,
Afin de voler dans les cieux ouverts du “grand Soi”.

C’est là le but et l’essence
Que le bouddhisme recherche –
La renaissance brillante de l’esprit. »13

L’Inde, pays de grande spiritualité, est imprégnée de l’esprit poétique. C’est la terre d’origine des bodhisattvas sortis de la terre dépeints dans le Sûtra du Lotus – les citoyens du monde dont le vœu est d’apparaître dans un monde empli d’illusions et de karma négatif. J’aimerais partager avec vous l’espoir que, depuis l’Inde, une renaissance spirituelle pour le nouveau siècle émettra des vagues de changement à travers l’humanité – un message de coexistence fondé sur la manifestation du grand Soi et des quatre vertus d’éternité, bonheur, véritable soi et pureté. C’est sur ce vœu que je clos mes commentaires.



Yoichi Kawada. Né dans la préfecture de Kagawa au Japon en 1937, il est diplômé de l'université de Kyoto et a achevé son doctorat d'immunologie en 1968. Il est une figure reconnue du champ de l'histoire et de la philosophie bouddhistes, qui rapproche les perspectives bouddhiques sur les problématiques contemporaines telles que la bioéthique et la pratique de la médecine clinique. Le Dr Yoichi Kawada a été nommé directeur de l'Institut de Philosophie Orientale en 1988.


  • 1. Krishna Srinivas (1913-2007) est un poète et universitaire indien. Né dans une famille modeste du sud de l'Inde, il fait ses études à l'Université de Madras et travaille dans l'administration puis en tant que journaliste indépendant. Très tôt, il publie des poèmes dans des journaux et revues indiennes, ainsi qu'à l'étranger. Des poètes tels que T.S. Eliot, Auden, Spencer - géants littéraires du XXe siècle - font l'éloge de son art, ce qui l'encourage à persévérer. A partir de la fin des années 50, la reconnaissance de la critique et du monde littéraire achève d’établir sa réputation.
    Il lance la revue « Poet », qui gagne rapidement en popularité auprès des poètes du monde entier et qui conduit, en 1960, à la création de la World Poetry Society Intercontinental (WPSI), qui se donne pour mission, « la paix à travers la poésie ».
    Krishna Srinivas, a publié de nombreux recueils en son nom, dont : Dance of Dust, Nirvana, Everest, Maya et Five Elements.
  • 2. Krishna Sirinivas, The Buddha: Victory of Humanism, New Delhi, Gandhi Media Center, p. 58.
  • 3. Daisaku Ikeda, Wonderful Encounters: Recollections of Meetings with Unforgettable People from Around the World, Malaysia, UKM Press, 2003, pp. 147-8.
  • 4. Daisaku Ikeda, The Human Revolution, abridged edition, World Tribune Press, 2004, vol. 4, p. 409.
  • 5. Traduit du japonais : Josei Toda, Toda Josei Zenshu, Tokyo, Seikyo Shimbunsha, 1983, vol. 3, p. 44.
  • 6. Ibid., p. 45.
  • 7. Ibid., p. 48.
  • 8. SdL-XV, 207-208.
  • 9. Nichiren, OTT, p. 119.
  • 10. Ibid., p. 118.
  • 11. Ibid., p. 118. (NdT : Voir aussi Les quatre grands bodhisattvas dans le dictionnaire en ligne.)
  • 12. NdT : voir aussi : Le grand Soi
  • 13. Traduit du japonais : Daisaku Ikeda, Ikeda Daisaku Zenshu, Tokyo, Seikyo Shimbunsha, 1994, vol. 41, pp. 390-391.