En ce mois de novembre, nous vous proposons d’étudier qui sont les disciples décrits dans le chapitre « Surgir de Terre » (15e) du Sûtra du Lotus. Par leur vœu de mettre en pratique et de transmettre l’enseignement du Bouddha après sa disparition, ils incarnent la compassion.
Introduction
« Ah ! insensé qui croit que je ne
suis pas toi ! »1 Victor Hugo ouvre
ainsi son recueil de poésie, Les
Contemplations, et partage sa
vision d’une commune destinée
humaine : « Ma vie est la vôtre,
votre vie est la mienne, vous vivez
ce que je vis. »2 Il rejoint ainsi la
notion bouddhique de « bodhisattva surgi de la Terre », notion qui,
selon Daisaku Ikeda, peut nous
permettre de dépasser les différences qui fissurent le monde
d’aujourd’hui pour retrouver notre
humanité commune, comme il
l’exprime dans ce poème :
« […] Au-delà des différences de
sexe et d’ethnie.
Là se trouve un monde offrant une
véritable preuve de notre humanité.
Si l’on parvient à retrouver ces
racines fondamentales,
Tous deviennent amis et camarades.
Parvenir à cette réalisation, c’est
cela, “surgir de la Terre”. »3
Extraits de La Vie à la lumière du bouddhisme
J’ai lu récemment un ouvrage intitulé Nigen no
saihakken4 (La redécouverte de l’être humain)
qui était en fait le compte rendu d’un symposium organisé par le docteur Hideki Yukawa,
le professeur Kikuya Ichikawa de l’université
de Doshina et M. Takeshi Umhehara. Ces trois
auteurs érudits évoquaient, entre autres
choses, le concept bouddhique de jihi, la
compassion.
Le docteur Yukawa observait que le mot
contient un élément signifiant « chagrin »,
qui le distingue du « Aime ton prochain »
chrétien, de la bienveillance confucéenne
et du commun de philanthropie. Le professeur Ichikawa suggérait que « chagrin »
impliquait le fait de partager la douleur
d’un tiers. Le docteur Yukawa rétorquait que,
pour partager la douleur d’un tiers, on devait
nécessairement éprouver du chagrin soi-même.
M. Umhara concluait que la compassion était
une sorte de reconnaissance spéciale impliquant une identification à l’état fondamental
de la vie d’une autre personne.
Dans l’état de bodhisattva, l’ensemble de la vie est
soutenu par la force de compassion. Par « force
de compassion », j’entends une énergie puissante
qui s’écoule de la profondeur intérieure de la vie
humaine. Celle-ci inclut l’intelligence, la bonté, la
sagesse et une foule de désirs spirituels. Le moi est
dans l’état de bodhisattva quand toutes ses qualités supérieures – sagesse, amour, détermination
et valeur – se fondent avec l’énergie de la compassion dans l’intention de faire le bien. Le caractère
du bodhisattva est complètement altruiste, et l’essence de la compassion du bodhisattva consiste à
délivrer autrui de sa souffrance et à lui apporter le
bonheur.
Le bodhisattva doit avoir le cran de défier les sources
du mal. Sans courage, il ne peut espérer vaincre l’obscurité en lui et chez les autres et, à moins de dominer des forces mauvaises, il est incapable d’apporter
le bonheur à autrui. Un texte bouddhique, le Butsujikyo-ron, va jusqu’à affirmer que la signification du
mot bodhisattva est « courage ». En aidant les autres,
le bodhisattva se parfait, car l’acte de faire le bien
annihile son égoïsme latent, permettant à la lumière
de la sagesse de son moi d’illuminer les ténèbres du
monde environnant.
Le mot bodhisattva est composé de bodhi, qui signifie « la sagesse du Bouddha » et sattva, « êtres sensibles ». La sagesse du Bouddha est celle qu’acquiert
le bodhisattva en consacrant toutes ses actions au
bénéfice des autres. Le moi dans l’état d’éveil pour
soi n’a pas cette sagesse ultime, parce que ses efforts
sont égocentriques et que subsiste en conséquence
le risque que l’égoïsme s’affirme à nouveau. Pour le
bodhisattva, la lutte pour aider les autres est en soi
une attaque frontale du moi égoïste. L’énergie vitale
fondamentale s’écoule sous forme de sagesse et de
compassion, et le moi, qui est trop enclin à l’égoïsme,
acquiert progressivement un caractère plus altruiste.
Il croît en sagesse, en jugement et en conscience, et
ses désirs spirituels gagnent en force. […] Lorsque
nous devenons bodhisattva sur Terre, nous manifestons en fait la bouddhéité qui est en nous. Seule
la bouddhéité qui est en nous est capable de donner vie aux quatre vertus des bodhisattvas sur Terre.
(Daisaku Ikeda, La Vie à la lumière du bouddhisme, « Les dix états de
vie », L’Harmattan, 2015, p. 131-136.)
Extraits de La Nouvelle Révolution humaine, vol. 19
Shin’ichi évoqua alors les quatre dirigeants
de ces bodhisattvas – Pratiques-Supérieures,
Pratiques-Sans-Limites, Pratiques-Pures, et
Pratiques-Fermement-Établies. Ils sont aussi
connus sous le nom des quatre grands bodhisattvas parce qu’ils prennent l’initiative de
conduire tous les êtres humains vers le bonheur. […]
Nichiren indiqua que ces quatre bodhisattvas
sont l’incarnation des quatre nobles qualités
du Bouddha : éternité, bonheur, véritable soi, et pureté. Il les compare
aussi aux quatre éléments qui composent le monde naturel selon la pensée orientale – terre, eau, feu et air
(voir OTT, 118).
Le bodhisattva Pratiques-Supérieures
représente le véritable soi et le feu.
« Le véritable soi » apparaît lorsque
nous nous éveillons au fait que nous sommes
bouddha. C’est un état de vie caractérisé par un
sens de l’indépendance et par une conviction
que les vicissitudes de la vie n’ébranlent pas.
La fonction du feu est de brûler. Autrement
dit, nous faisons brûler la flamme de nos
désirs terrestres, qui devraient être la cause
des souffrances, pour faire jaillir la lumière de
la sagesse et illuminer ainsi le monde plongé
dans l’obscurité. Cette image décrit l’état de
vie d’un grand dirigeant qui, par sa profonde
compassion, peut inclure chaleureusement les
autres et leur donner du courage.
Le bodhisattva Pratiques-Sans-Limites correspond à l’éternité et à l’élément air. « L’éternité »
représente un état où l’on est éveillé à l’éternité de la vie à travers les trois phases de l’existence – passé, présent, et futur. Elle consiste à
faire l’expérience d’un état de vie vaste et illimité fondé sur la loi éternelle de cause et d’effet ; un état où l’on est libéré de la souffrance
causée par la crainte de la mort, due à l’ignorance de l’éternité de la vie. Avec un tel état de
vie, nous pouvons dissiper toutes les épreuves
et les souffrances auxquelles nous sommes
confrontés, de même que le vent chasse la poussière et la saleté. Nichiren a dit un jour qu’il considérait les grandes persécutions qui s’abattaient sur
lui comme n’étant « que poussière dans le vent » (Sur l’ouverture des yeux, Écrits, 284).
Le bodhisattva Pratiques-Pures correspond à la pureté
et à l’élément eau. Ce bodhisattva représente la fonction consistant à manifester sans cesse l’état de vie
pur du Bouddha et à purifier tous les phénomènes
pour qu’ils deviennent pareils à de l’eau claire et
limpide, qui ne peut être ternie par les souillures
du monde. Un cœur pur exprime une riche sensibilité, de la reconnaissance et de l’émotion. Les fleurs
magnifiques de l’humanité s’y épanouissent.
Le bodhisattva Pratiques-Solidement-Établies correspond au bonheur et à l’élément terre, c’est-à-dire à un
état de paix spirituelle et à l’illumination. En d’autres
termes, c’est un état empreint d’une puissante énergie vitale où l’on éprouve de la joie envers la vie et
où l’on ne se laisse jamais ballotter par les difficultés. C’est aussi la fonction d’apporter aux autres un
sentiment de sécurité et un soutien, de même que la
terre soutient et nourrit la vie de toutes les plantes.
Ce sont les bodhisattvas sortis de la terre qui, à l’assemblée du Sûtra du Lotus, se sont vu confier la mission de kosen rufu à l’époque de la fin de la Loi. Quand
nous faisons nôtre cette mission, nous manifestons
notre état de bouddha inhérent ainsi que les quatre
vertus et quatre éléments représentés par les quatre
dirigeants des bodhisattvas sortis de la terre. C’est
ce qui nous permet de transformer fondamentalement notre état de vie, d’accomplir notre révolution
humaine et de changer notre karma.
(Daisaku Ikeda, La Nouvelle Révolution humaine, vol. 19, Acep, p. 279-280.)
Extraits de La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 2
Le monde de la Soka Gakkai est une véritable
oasis de régénération. Lorsque nous nous occupons des autres, c’est-à-dire quand nous les
aidons à accroître leur force vitale, notre propre
force vitale augmente. Lorsque nous
aidons les autres à élever leur état de
vie, nous développons aussi notre propre
vie. C’est là l’aspect merveilleux de la
voie des bodhisattvas ; les actions qui
profitent à autrui sont inséparables des
actions qui nous profitent. Se contenter
de dire que l’on « agit pour les autres »
est parfois pure arrogance. Avoir toujours à la bouche les mots « sauver les autres »
peut parfaitement masquer une hypocrisie.
C’est seulement lorsque nous comprenons que
nos efforts pour le bien des autres sont également
bénéfiques pour notre propre vie que nous agissons
avec humilité. Notre vie et celle d’autrui sont, en définitive, inséparables. La voie des bodhisattvas est, en
réalité, le chemin correct de la vie.
(Daisaku Ikeda, La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 2, « Des Six Voies
inférieures aux Quatre Nobles Voies – L’inclusion
mutuelle des Dix États – 1 », Acep, p. 175.)
Pour aller plus loin...
- Daisaku Ikeda, La Sagesse pour créer le bonheur et la paix, vol. 3, partie 1 sur 2, chap. 19 « La mission et le vœu des bodhisattvas sortis de la terre », Acep, p. 41 à 74.
Ce support est à retrouver dans le numéro de Valeurs humaines du mois d'octobre 2024.
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