Personne n’échappe à la question du Bien et du Mal, car nous devons constamment faire des choix, prendre des décisions et nous avons besoin de fils conducteurs. Le bouddhisme, dont la sagesse unit ces deux notions en apparence opposées, nous donne des éléments de réponse.
Chaque individu a un système de valeurs qui lui est propre, appelons-le le fourre-tout. C’est un système de valeurs immédiat, spontané, mais aussi le plus profondément ancré dans notre personnalité, parce qu’il s’est imposé à nous au fil du temps et que nous n’avons pas toujours la distance nécessaire pour le remettre en question, sauf cas particulier. Il comporte de grandes valeurs universelles: ne pas tuer, ne pas voler ainsi que les valeurs morales et les règles de conduite propres à notre culture, au moment historique, à notre famille.
Le fourre-tout appartient au registre du devoir-faire, du « il faut », de sorte que, lorsque nous n’avons pas réussi à nous comporter de la façon qui semblait optimale, malgré notre bonne volonté, nous doutons de nous-même, nous nous culpabilisons ou nous accusons les autres de notre échec. Dans les deux cas, nous sommes dans une impasse.
A l’inverse, le Bien et le Mal appartiennent à des systèmes de valeurs qui s’articulent autour d’un idéal de vie. Ces systèmes s’accordent sur le fait que la vie humaine inclut le bien et le mal. Quelles relations ces valeurs a priori contradictoires entretiennent-elles entre elles ?
Ce sont les fondements doctrinaux de nombreuses religions, de nombreux philosophes, Platon, Descartes, Kant... et des idéologies politiques. La dualité bien/mal y présente un caractère absolu. Il peut exister des nuances, mais, dans tous les cas, il s’agit de deux catégories bien distinctes. Poussée à l’extrême, cette radicalité conduit au fanatisme. A titre d’exemple, le communisme — qui avait pour objectif la création d’une société sans classes sociales, dans un esprit d’égalité pour tous — a abouti finalement à des dictatures sanglantes.
La religion chrétienne, très stricte sur les notions de bien et de mal n’a pas échappé à l’intolérance, à certains moments historiques. En revanche, le pardon accordé par Dieu, l’autorité ultime en matière de Bien et de Mal, permet d’outrepasser cette dualité dans des cas particuliers : « Le pécheur est donc exhorté à se repentir de ses péchés et à recevoir, par la foi, le pardon. »
Dans le bouddhisme de Nichiren Daishonin, le Bien et le Mal appartiennent aussi à des registres en apparence antinomiques. Le « bien suprême », c’est l’atteinte de la bouddhéité, c’est-à-dire le fait de réussir à dissiper l’obscurité fondamentale inhérente à la vie de tous les êtres, pour révéler la nature profonde de bouddha à la lumière de l’enseignement bouddhique, et le fait d’aider les autres à découvrir l’état de bouddha dans leur vie.
A l’inverse, la source du mal consiste à ne penser qu’à ses propres intérêts. On appelle «forces démoniaques» toute manifestation extérieure ou intérieure qui éloigne de la voie de l’Éveil. Ce sont, entre autres, les Trois Poisons que sont l’avidité, la colère et l’ignorance et la peur de la mort.
Comment justifier cette idée d’unicité du Bien et du Mal ? Nichiren explique qu’« il n’existe en fait qu’un seul principe véridique, mais, s’il rencontre de mauvaises influences, il prend l’aspect de l’illusion et, s’il rencontre de bonnes influences, il prend l’aspect de l’Eveil. » Il dit encore : « Si une personne qui a commis les Cinq Fautes capitales entend parler de cette puissante méditation et que naît en elle le désir de parvenir à l’illumination suprême, alors, contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle sera en mesure d’atteindre la bouddhéité... En refrénant les désirs terrestres, alors on peut transcender le cycle de la vie et de la mort. »
Mais comment un changement aussi radical est-il possible ? Le principe d’inclusion mutuelle des Dix États en donne la clé : même un bouddha possède, de façon latente, l’état de mal absolu, de même qu’un criminel possède l’état de bouddha. C’est pourquoi Devadatta, le cousin de Shakyamuni, archétype du plus grand mal, qui entreprit d’attenter à la vie du Bouddha, fut dans une vie antérieure l’ermite du nom d’Ashi qu’il avait pris pour maître, et qu’il atteindra de nouveau l’Eveil dans le futur sous le nom de Roi célesteste. Dans sa relation avec Shakyamuni, Devadatta s’est laissé vaincre par sa jalousie qui l’a poussé à essayer de le détruire. Josei Toda expliquait : « Quand Shakyamuni pratique la loi du Bouddha, Devadatta pratique l’injustice. Et ainsi ils se stimulent mutuellement. Mais, une fois que le bien est entièrement révélé, le mal, dans sa totalité, se confond avec le bien. » Pourquoi ? Parce qu’il oblige à se surpasser et permet ainsi de découvrir et de développer des potentialités qu’on ne soupçonnait même pas. Cela signifie que le Mal et le Bien ne sont pas des choses concrètes, ils prennent leur dimension dans une relation.
C’est la raison pour laquelle le bouddhisme de Nichiren est victoire ou défaite. Mais le mot victoire est trop facilement assimilé à l’idée de succès, de triomphe. La victoire consiste à garder un coeur invaincu, quoi qu’il arrive. Les défaites inévitables ne sont que provisoires à partir du moment où l’on se relève avec la détermination de gagner la prochaine fois. Il n’y a qu’au moment de la mort que nous saurons définitivement si nous avons gagné en cette vie-ci. Donc, cette transformation n’est possible que si l’on croit à l’éternité de la vie, car tout échec reste relatif. Le bouddhisme enseigne que, après la mort, il sera toujours possible de reprendre le cours de son évolution là où on l’avait laissée.
Comment réaliser cette transformation intérieure ? Certainement pas en allant chercher des recettes dans le fourre-tout. Réfréner les désirs terrestres ne signifie pas se battre contre soi-même en s’imposant des règles strictes et en s’auto-évaluant. Nous serions alors focalisés sur le petit ego. La démarche consiste à se tourner vers le Gohonzon pour manifester la sagesse que chacun porte en lui. C’est « Daimoku d’abord » et la « stratégie du Sûtra du Lotus », qui stipule que, en se fondant sur la foi, on peut faire confiance dans les « divinités bouddhiques », c’est-à-dire dans la façon dont notre propre force vitale et notre détermination puisées dans l’état de bouddha vont faire apparaître des circonstances favorables.
« Plus la foi d’une personne est forte, plus la protection des divinités bouddhiques est grande », affirme Nichiren, car la foi permet de lutter contre l’obscurité fondamentale qui alimente le doute, le découragement, l’apitoiement, la rancoeur, la paresse, l’arrogance.
Concrètement, que faire ?
- Ne pas éviter les difficultés, développer la force et la confiance nécessaires pour les surmonter.
- Changer la plainte en détermination à changer sa vie et à accepter les bienfaits de l’échec. L’erreur est une source d’enseignement, alors que chaque plainte vient renforcer la cause négative.
- Adopter l’attitude de prendre un « nouveau départ» qui consiste à se concentrer sur le présent et l’avenir, car les graines plantées aujourd’hui vont changer l’avenir selon le principe de causalité. On passe du statut de victime à celui de responsable.
- Agir avec décision, sans négliger aucun détail, mettre tout son coeur dans la tâche qu’on entreprend.
- Insuffler l’espoir dans le coeur des personnes qui, usées par leurs souffrances, vivent résignées et dans l’angoisse, et leur redonner l’envie de défier l’adversité.
Enfin, rappelons-nous que chaque être humain est unique et indispensable. Chacun a une fonction unique, que lui seul peut remplir. Inutile de se comparer aux autres, ce qui est facile pour l’un sera difficile pour un autre. L’important, c’est d’avancer avec une confiance inébranlable, en s’encourageant mutuellement.