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Le bouddhisme est né du désir compassionnel de trouver une solution aux souffrances inhérentes à la vie des êtres humains. C’est là sa préoccupation essentielle. Au fil des enseignements dispensés par le Bouddha tout au long de sa vie, la réponse à cette question a évolué. Le bouddhisme de Nichiren, en se fondant sur le Sûtra du Lotus, expose le principe révolutionnaire : “les souffrances de la naissance et de la mort sont le nirvana”.

Une perception lucide des souffrances de l’existence

L’histoire raconte comment le jeune Shakyamuni perçut avec acuité la condition des êtres vivants, prisonniers de leur karma et assujettis aux aléas de l’existence – tels des voyageurs voguant au milieu d’un « océan de souffrances ».1 Profondément troublé par cette découverte, il entreprit de s’éveiller à la réalité ultime de l’existence, afin de libérer de la souffrance tous les êtres vivants. Finalement, au terme de sa quête, il parvint à l’Eveil. Puis il commença à prêcher, afin de conduire progressivement les autres au même Eveil que lui.

Ses premiers enseignements insistaient donc sur les souffrances fondamentales de l’existence et l’impermanence de toute chose, offrant, en apparence, une vision négative de la vie. Mais son intention sous-jacente était de préparer ses disciples, d’attiser leur esprit de recherche et de les détourner d’un attachement excessif à ce qui, par nature, ne peut durer.2

Le caractère éphémère de la vie

Ce que le Bouddha voulait faire comprendre dans ses premiers enseignements, c'est que rien, en ce monde, ne demeure constant ni ne peut procurer de véritable sécurité. Nos conditions de vie, les relations avec ceux qui nous sont chers, notre santé, etc. – tout le bien-être que nous dérivons de ces choses est constamment menacé par l’incertitude liée au flux de la vie, et finalement, par la mort. Cette conscience aiguë du caractère éphémère de la vie est une constante de la pensée bouddhique. Plus tard, au XIIIe siècle, Nichiren Daishonin l’exprime ainsi :

Avec quelle rapidité les jours s’enfuient ! En les voyant ainsi passer, nous comprenons la brièveté des moments qu’il nous reste à vivre. Les amis avec qui nous goûtions, par les matinées de printemps, la joie d’admirer les cerisiers en fleur, ne sont plus. Ils ont été emportés comme des pétales par les vents de l’impermanence, ne laissant derrière eux que leurs noms. Même si les fleurs se sont éparpillées, au printemps prochain, les cerisiers refleuriront. Mais quand et dans quel monde renaîtront les êtres disparus ?
Lettre à Niike(Ecrits, 1036 ; L&T-1, 283)

Le bouddhisme enseigne que tous les êtres humains traversent inévitablement les souffrances de la naissance et de la mort, dans un cycle éternel d’existences successives. Et ce, quels que soient leur statut social, richesse, caractère, culture, ou tout autre facteur. Ces souffrances sont inhérentes à la vie elle-même, de par sa nature éphémère et constamment changeante.

 

Les Quatre nobles vérités et l’aspiration au nirvana

Mais n’y a-t-il donc pas de « refuge » où les êtres humains pourraient échapper à la souffrance ? N’existe-t-il pas de « voie » qui les mène avec sûreté vers le bonheur ?

Pour répondre à ces questions essentielles, « semblable à un médecin expérimenté, qui emploierait un moyen opportun pour guérir ses enfants à l’esprit égaré »,3 le Bouddha a tout d’abord enseigné le principe des Quatre nobles vérités, qui expose de façon méthodique le symptôme, le diagnostique, la possibilité de guérison, et le remède aux souffrances humaines. Ces Quatre vérités sont :

  • La vie est souffrance ;
  • La souffrance est causée par le désir égoïste ;
  • L’extinction du désir égoïste apporte la cessation de la souffrance ;
  • Il existe un chemin qui amène à l’extinction de ce désir : l’Octuple noble chemin.

En exposant les Quatre nobles vérités et l'Octuple noble chemin, Shakyamuni offrait la promesse d'une issue : l’extinction de la souffrance à travers l’émancipation du cycle des renaissances – appelée nirvana.

Le mot sanskrit nirvana signifie “extinction” et a été également traduit par “émancipation”, “cessation” ou “non-renaissance”. C’est un état dans lequel toutes les illusions et les désirs terrestres, ainsi que le cycle de la naissance et de la mort, sont éteints. Le nirvana a été ainsi considéré comme le but ultime de la pratique bouddhique par les tenants des premiers enseignements du Bouddha – le courant Theravada. Et l’arhat,4 personne ayant dissipé toutes les illusions, était vu comme le stade ultime de la progression spirituelle, bien qu'inférieur au Bouddha.

Différentes conceptions du nirvana

En suivant les préceptes de l’Octuple noble chemin, les pratiquants étaient censés pouvoir se libérer du cycle de la naissance et de la mort et atteindre ainsi le nirvana. Cependant, comme l’observe Daisaku Ikeda : « Les doctrines des quatre nobles vérités et de l'octuple noble chemin étaient principalement destinées aux disciples qui avaient rejeté la vie séculière et s'étaient totalement engagés dans la pratique bouddhique ; elles reflètent la démarche propre aux premiers enseignements de Shakyamuni, centrés sur une perception essentiellement négative de la vie et du monde, afin que les êtres humains s'éveillent d'abord aux dures réalités de l'existence, puis à l'indicible expérience spirituelle du nirvana. »5

De plus, parce que le Theravada enseigne que le nirvana ne peut être parfaitement atteint qu’au moment de la mort, les tenants des enseignements ultérieurs – le courant Mahayana – le critiquèrent, le qualifiant d’enseignement pour « réduire le corps en en cendres et annihiler la conscience ».

Aussi, dans le bouddhisme Mahayana, le nirvana n’est pas perçu comme une extinction de la vie et une échappatoire au monde phénoménal, mais l’éveil à un état de bonheur et de sagesse suprêmes. Toutefois, même au sein du Mahayana, beaucoup d'écoles enseignent que cet éveil ne peut être atteint qu’au terme de pratiques s’étendant sur des centaines et des milliers d’existences successives, après être parvenu à éliminer les désirs terrestres. Dans le bouddhisme Mahayana, le nirvana en vint donc à être perçu comme une existence paradisiaque après la mort – idéal aussi inaccessible que celui de l'arhat.

Enraciner sa vie dans la “grande terre de la bouddhéité”

Par contraste, dans le Sûtra du Lotus, le dernier grand enseignement du Mahayana – appelé par conséquent “Mahayana définitif” – Shakyamuni réfute la notion de nirvana telle qu’elle avait été conçue jusqu’alors. Il déclare :

Je parais entrer au nirvana, mais ce n’est qu’un moyen opportun. En vérité, je n’entre pas dans l’extinction. Je suis toujours ici à prêcher la Loi.
SdL-XVI, 221.

Ni extinction de la vie ni au-delà paradisiaque, le Sûtra du Lotus révèle que le nirvana ne peut se trouver au contraire qu’en plongeant au cœur du monde réel. Cette notion est développée par Nichiren, qui met en avant le principe révolutionnaire “les souffrances de la naissance et de la mort sont le nirvana” (en japonais : shoji soku nehan). Il écrit :

Si vous souhaitez arrêter le cycle sans commencement des naissances et des morts6 et parvenir absolument à l’illumination suprême en cette vie, vous devez percevoir le merveilleux principe inhérent à tous les êtres vivants : Myôho-renge-kyô.
Sur l'atteinte de la bouddhéité en cette vie, Ecrits, 3.

Autrement dit, c’est en s’éveillant à la Loi immuable au cœur du rythme de la vie et de la mort, en s’y ressourçant à travers les peines et les joies de ce monde qu’il est possible de vivre le nirvana – un état de liberté et de bonheur profonds – ici et maintenant, dans cette vie-même.

Renaître vie après vie débordant d’une puissante force vitale

Nichiren Daishonin a révélé la Loi merveilleuse de Myohô-renge-kyô, la voie du milieu régissant les deux phases alternées du cycle de la vie et de la mort. Et il a établit la pratique concrète de la récitation de Nam-myoho-renge-kyo, afin de permettre à chacun de s’y éveiller, de s’y ancrer et de s’y ressourcer jour après jour. Décrivant l’état de vie d’une personne qui se fonde sur cette Loi, il affirme :

Nous répétons le cycle des vies et des morts successives, sur la terre ferme de l’état de bouddha inhérent à notre propre vie.
GZ, 724.

Ainsi, le bouddhisme de Nichiren offre la perspective d’une vie de liberté et de progression personnelle illimitée. Daisaku Ikeda donne l’image suivante : « Etre soumis au cycle de la vie et de la mort dans les neuf états, c’est se frayer maladroitement un chemin à travers les épreuves et les difficultés. C’est comme suivre un chemin tortueux, en s’efforçant d’éviter les fondrières. (…) Vivre et mourir dans l’état de bouddha, au contraire, c’est comme filer à bonne allure sur une voie dégagée, à bord d’un véhicule rapide et puissant. Tout en admirant le magnifique panorama qui s’offre à nos yeux, nous agissons, avec une force vitale infinie, pour aider les autres à devenir heureux. »7

Jouir de cette grande force vitale équivaut en soi à “atteindre la bouddhéité” – ou nirvana. Un état où notre grand désir de vivre et de contribuer au bonheur des autres nous pousse à réapparaître dans le monde, encore et encore, avec une joie illimitée.

  • 1. « Océan de souffrance » : Cette expression est fréquemment employée dans les textes bouddhiques pour imager la difficulté de l’existence. Dans le Sûtra du Lotus, par exemple, Shakyamuni déclare : « Quand j’observe les êtres vivants, je les vois se noyer dans un océan de souffrances. » (SdL-XVI)
  • 2. Shakyamuni déclare dans le Sûtra du Lotus : « Depuis que je suis parvenu à la bouddhéité, Shariputra, j’ai largement exposé mes enseignements en m’aidant de différentes causes et de multiples paraboles et me suis servi d’innombrables moyens opportuns pour guider les êtres vivants et les inciter à renoncer à leurs attachements. » (SdL-II, 43)
  • 3. SdL-XVI, 223. Ce passage décrit l’emploi d’enseignements opportuns et provisoires par le Bouddha afin de guider les êtres humains, dans le Sûtra du Lotus.
  • 4. Pour plus de détails, voir les éléments de comparaison entre l’arhat et le bodhisattva.
  • 5. D. Ikeda, Le cycle de la vie, L’Harmattan, 2006, p.16.
  • 6. Le mot “souffrance” n’est pas spécifiquement mentionné, mais dans le bouddhisme Mahayana, en Chine comme au Japon, cette expression a été comprise comme s’agissant d’arrêter les souffrances causées par le cycle des naissances et des morts.
  • 7. D. Ikeda, La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 4, pp. 145-146.