Le bouddhisme de Nichiren offre une vision foncièrement positive de la vie humaine. Son message central est que chaque individu possède une dignité inaliénable et un potentiel sans limite – à l'image de la tour aux trésors qui apparaît dans le Sûtra du Lotus pour illustrer la beauté, la grandeur et le caractère précieux de la vie.
Dans cette perspective, il apparaît clairement que la guerre – avec son lot de cruauté, de mort, de dévastation et de malheur – représente un mal absolu, et doit être totalement rejetée. La paix doit être l'objectif premier des êtres humains.
Par extension, la prévention de la violence, le soulagement de toutes les formes de souffrance et la lutte contre l'injustice doivent également devenir les plus grandes priorités de l'humanité, par opposition à la course à l'accumulation de richesses et de pouvoir.
Le cœur humain, fondement de la paix
Hélas, un malheur commun afflige l'humanité : sa difficulté à pleinement apprécier la valeur de la vie. En effet, même si nous acceptons la notion de dignité de la vie en théorie, agir en conséquence reste extrêmement difficile. Dans un conflit interpersonnel, par exemple, les émotions destructrices et les pulsions de violence peuvent prendre le dessus, malgré nous.
Ainsi, le cœur humain est le lieu d'une lutte de chaque instant entre les forces de création et de destruction. Comme le stipule le préambule de l'Acte constitutif de l'Unesco :
Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix.
C'est pourquoi le bouddhisme souligne que seule la transformation du cœur humain – pour rendre la compassion plus forte que l'égoïsme, et la bienveillance plus forte que la haine – est fondamentalement garante de la paix. Ses enseignements offrent le moyen concret permettant d'effectuer une telle transformation.
Remédier aux souffrances du peuple
Du vivant de Nichiren, dans le Japon du XIIIe siècle, une série de catastrophes – tremblements de terre, inondations, épidémies, incendies, famines – ravageaient le pays. Il écrit :
Depuis quelques années, il se produit des perturbations inhabituelles dans les cieux et des événements étranges sur terre, la famine et les épidémies affectent le pays dans ses moindres recoins et se sont répandues partout. Bœufs et chevaux gisent dans les rues et les squelettes des morts s’entassent sur les routes. Plus de la moitié des habitants ont déjà été emportés par la mort et l’on aurait bien du mal à trouver ne serait-ce qu’une seule personne épargnée par le malheur.
Nichiren, Sur l'établissement de l'enseignement correct pour la paix dans le pays (Ecrits, 8)
Profondément touché par les souffrances du peuple, Nichiren fit le vœu de découvrir la cause fondamentale de cette situation. Il étudia et analysa les systèmes de croyances sous-jacents à la société.
Bien que le pays fut empli de temples et de moines bouddhistes, leurs prières et leurs actions ne produisaient aucune paix ni aucune sécurité pour le pays. Au contraire, en incitant à la passivité, les écoles existantes ne faisaient qu'exacerber les trois poisons – avidité, colère et ignorance – dans la vie des gens. Nichiren parvint à la conclusion que les calamités qui affectaient la société reflétaient les illusions régnant dans les esprits. Comme il l'écrit :
Dans un pays où les trois poisons prévalent à ce point, comment pourrait-on connaître la paix et la stabilité ? (…) La famine résulte de l’avidité, les épidémies de l’ignorance et la guerre de la colère.
Nichiren, Le Roi Rinda (Ecrits, 1000)
De plus, parmi les trois calamités, les famines et les épidémies s'étaient déjà amplement manifestées. A la lumière des enseignements bouddhiques, il ne faisait aucun doute que la troisième calamité, celle de la guerre, ne manquerait pas d'apparaître si rien n'était fait pour remédier à la situation.
Eviter la guerre à tout prix
Nichiren comprit donc que la guerre était sur le point d'éclater et, seul conscient du danger, il chercha à en avertir les dirigeants du pays. Il consigna le fruit de ses réflexions dans son traité Sur l'établissement de l'enseignement correct pour la paix dans le pays (jap. : Rissho ankoku ron) qu'il adressa, le 16 juillet 1260, au régent retiré Hojo Tokiyori, principal détenteur du pouvoir politique. Ecrit sous la forme d'un dialogue, c'était un cri du cœur, un appel à dépasser l'égoïsme et prendre conscience de la situation du monde :
Si vous vous inquiétez de votre sécurité personnelle, ne devriez-vous pas tout d’abord prier pour l’ordre et la tranquillité aux quatre coins du pays ?
Nichiren, Sur l'établissement de l'enseignement correct pour la paix dans le pays (Ecrits, 26)
Nichiren prédit dans cet écrit le danger de la guerre, sous la forme de luttes intestines ainsi que d'une invasion étrangère. Mais, sourds à son avertissement, les autorités politiques et religieuses1 se liguèrent pour le persécuter, ainsi que ses disciples.
Les prédictions de Nichiren s'avérèrent pourtant juste, puisque quelques années plus tard, en 1266, l'Empire mongole de Kublai Khan adressa l'ordre aux japonais de se soumettre à la loi mongole, suivi par deux tentatives dévastatrices d'invasion de l'archipel nippon (en 1274 et en 1281).2 Et, en 1272, une rébellion fratricide éclata au sein du clan au pouvoir.3
Une révolution spirituelle
En s'engageant dans la vie religieuse, Nichiren avait fait le vœu de s'acquitter de sa reconnaissance envers ses parents, ainsi que tous les êtres humains. Il souhaitait conduire les gens au bonheur et les aider à transformer leur destinée. Sa détermination franche lui valut une réputation controversée qui persiste à ce jour.
Rejetant les croyances qui sapaient la force vitale des gens et n'avaient d'autre but que d’asseoir le pouvoir de la classe dirigeante, Nichiren lutta pour revenir à l'intention originelle du Bouddha : offrir à chacun la possibilité d'épanouir tout son potentiel – sa « nature de bouddha ». En conséquence de quoi les gens pourraient trouver la force de transformer la société humaine elle-même en une terre idéale et paisible.
Il s'employa donc à réfuter les doctrines des principales écoles bouddhiques et à exhorter les dirigeants politiques de son époque à cesser le patronage de ces écoles. Il plaidait pour un débat public afin d'établir clairement les mérites des différentes écoles du bouddhisme. Et il établit son enseignement, fondé sur le courant humaniste du Sûtra du Lotus.
Défier le pessimisme et le sentiment d'impuissance
Commentant la signification du traité Sur l'établissement de l'enseignement correct pour la paix dans le pays, Daisaku Ikeda écrit : « Ce qui importe, c'est que l'esprit de la grande philosophie de la paix exposée dans le Sutra du Lotus puisse pleinement jouer dans la société dans son ensemble. Sur le plan social, “établir l'enseignement correct” signifie établir les concepts de dignité humaine et de caractère sacré de la vie comme des principes qui soutiennent et imprègnent la société. »
Beaucoup de gens vivent aujourd'hui avec un sentiment de confusion, de vide et de désespoir. Ils se sentent impuissants à changer les choses, que ce soit dans leur vie personnelle ou dans la société. Croire en un idéal est taxé de naïveté ; le cynisme sert à masquer la perte de tout espoir ; le manque de respect pour la vie humaine nourrit la violence et l'exploitation.
La fonction de la religion et de la philosophie doit être de donner aux gens le courage et l'espoir nécessaires pour transformer leurs souffrances. Nous devons développer la capacité de livrer la lutte contre les forces de division et de destruction au sein de notre propre vie. Et, à travers le dialogue, partager cette dynamique avec les autres, et la transmettre de proche en proche dans la sphère sociale. À moins de faire de cette libération de nous-mêmes et des autres notre objectif, nous serons incapables de résister et de surmonter les influences négatives qui minent notre société.
Le traité de Nichiren se conclut sur ces mots du visiteurs :
Désormais, en me laissant guider par vos instructions bienveillantes, je souhaite dissiper l’ignorance de mon esprit. (...) Mais il ne faut pas que je sois le seul à accepter vos paroles et à avoir foi en elles – je dois veiller à ce que les autres aussi soient avertis de leurs erreurs.
Nichiren, Sur l'établissement de l'enseignement correct pour la paix dans le pays (Ecrits, 28)
En définitive, pour créer la « paix dans le pays » (ankoku) – c'est-à-dire une ère dans laquelle on accorde à la vie la valeur suprême – il est vital d'« établir l'enseignement correct » (rissho) – c'est-à-dire posséder une forte philosophie nous permettant de révéler le potentiel illimité et la merveille qu'est la vie, et partager cette conscience, à travers le dialogue. C'est là l'essence du bouddhisme, l'esprit de rissho ankoku.
Adapté de l'anglais Rissho Ankoku - Securing Peace for the People
- 1. ↑ Notamment Hei no Saemon, chef de la police militaire de Kamakura, et Ryokan, supérieur du monastère Gokuraku-ji et figure éminente de l'école de la Terre Pure.
- 2. ↑ Pour davantage d'éléments de contexte, voir l'article Wikipedia : Invasions mongoles du Japon
- 3. ↑ Appelées aussi « émeutes de février ». En février 1272 Hojo Tokisuke, un demi-frère aîné du régent Tokimune, tenta de s’emparer du pouvoir, et des violences éclatèrent à Kyoto et Kamakura.