Dans n'importe quel domaine, un maître a pour fonction de transmettre un enseignement et de guider ses disciples afin qu’ils se développent au mieux de leurs capacités. De même en bouddhisme, cette relation entre maître et disciple est essentielle. Elle permet aux disciples de progresser sur la voie de l’atteinte de la bouddhéité.
On peut voir cette relation à l'œuvre à travers les écrits bouddhiques, qui mettent fréquemment en scène des échanges entre le Bouddha et ses disciples. C'est le cas notamment du Sûtra du Lotus, qui met cette relation à l'honneur, soulignant explicitement son importance dans ce passage par exemple :
Quand on est proche des maîtres de la Loi, on accède très vite à la voie des bodhisattvas. Si l'on suit ces maîtres et que l'on apprend d'eux, on verra autant de bouddhas que grains de sable dans le Gange.
SdL-X, 170.
Un serment partagé
Cependant, dans le courant du Lotus , cette relation prend une dimension supplémentaire. Une scène du Sûtra décrit de manière vivante le moment où les disciples rejoignent le Bouddha dans son vœu. Au point culminant de son prêche, Shakyamuni appelle ses véritables disciples, qu’il a entraînés depuis le passé le plus lointain. La terre s’ouvre alors et une myriade de bodhisattvas resplendissants en surgit. Aussitôt apparus, ces “bodhisattvas sortis de la terre” expriment leur sollicitude envers le Bouddha et font son éloge.1 Quelques temps après, ils font le serment de faire vivre le Sûtra du Lotus, graine de l’illumination, dans l’époque difficile et corrompue qui suivra la disparition de leur maître.2
Cette scène grandiose dépeint la profondeur et la solennité de l'engagement partagé du maître et de ses disciples. On peut la lire comme une métaphore de la transformation qui se joue dans le cœur de ces derniers : de disciples passifs attendant d’être sauvés par le maître, ils deviennent des disciples actifs, qui font le même vœu que lui et œuvrent à ses côtés, pour le bonheur de tous les êtres humains.
Au-delà d’un lien de transmission de type enseignant-élève, elle se fonde sur le vœu partagé du maître et du disciple d'œuvrer ensemble au bonheur de tous les êtres humains. On parle alors non plus seulement de “relation” de maître et disciple, mais d’“unité”, car l’un et l’autre agissent de concert, avec le même objectif et dans le même esprit.
Poursuivre l’œuvre du maître, concrétiser son vœu
Si l’on voulait définir les fonctions respectives du maître et du disciple, on pourrait dire que celle du maître est de montrer un idéal et d’ouvrir la voie qui conduit à sa réalisation, tandis que celle du disciple est de concrétiser cet idéal et de l’étendre à une échelle plus grande encore. C’est ce vœu et cette lutte partagés qui créent un lien profond entre la vie du maître et celle du disciple. Ainsi, il est dit dans le Sûtra du Lotus :
Ces personne qui avaient entendu la Loi demeurèrent ici et là dans les terres de divers bouddhas, renaissant continuellement en compagnie de leur maître.
SdL-VII, 144.
Cette unité est au cœur du bouddhisme. C’est le véhicule à travers lequel se transmettent la Loi bouddhique et le vœu de réaliser le bonheur pour soi et les autres, génération après génération. En l'absence de cet engagement partagé et des efforts du disciple pour œuvrer dans le même esprit que le maître, ce dernier finirait par être idéalisé et le bouddhisme perdrait alors tout pouvoir de transformation.
Devenir maître de son esprit
Le bouddhisme a un objectif unique : permettre aux gens de devenir heureux par eux-mêmes. Son postulat de base est que chaque personne a en elle la capacité de triompher de toutes les formes d’adversité et de transformer toute souffrance en une source de développement. C’est une philosophie fondée sur la conviction qu'il existe au sein de chaque être humain, à chaque instant, des réserves inépuisables de courage, de sagesse, de compassion et de créativité – caractéristiques de l’état de bouddha – qui peuvent s’activer par la foi et la pratique de la Loi bouddhique.
Le maître amène ses disciples à prendre conscience de ce potentiel, continue à le leur rappeler et les aide à prendre confiance en eux. C’est avec sa vie-même, autant que par son enseignement, qu’il éveille et guide ainsi ses disciples vers l’autonomie. Autrement dit, le maître (la personne) et l’enseignement (la Loi) sont indissociables.3
Il faut devenir maître de son esprit et non pas le laisser devenir le maître.
Nichiren (Ecrits, 393)
Commentant cette phrase, Daisaku Ikeda observe : « Un maître en bouddhisme, est celui qui conduit les gens vers la Loi merveilleuse et les y relie – en leur enseignant que la Loi sur laquelle ils devraient s'appuyer existe à l'intérieur de leur propre vie. Les disciples, en retour, recherchent le maître qui incarne la Loi et ne fait qu'un avec elle. Considérant le maître comme un modèle, ils s'exercent eux-mêmes dans leur pratique bouddhique. De cette façon, ils mènent une vie qui leur permet de devenir maîtres de leur esprit.
Autrement dit, l'existence d'un maître qui incarne et vit en complet accord avec la Loi merveilleuse, un maître qui enseigne aux gens le vaste potentiel intérieur qu'ils possèdent, est indispensable pour atteindre la bouddhéité en cette vie. »4
L'idéal “théorique” de l'illumination devient tangible à travers la personnalité et les actions du maître pour ouvrir la voie à ses disciples, et à travers l’esprit de recherche de ces derniers pour vivre son enseignement et le transmettre.
Un modèle dans la foi
La voie bouddhique consiste à élargir son humanité. Cela implique non seulement de relever ses propres défis, afin de grandir et se développer personnellement, mais aussi d’agir pour le bien des autres. Parce que c’est une voie difficile, s'appuyer sur l'exemple de son maître bouddhique, lorsqu’on traverse un moment critique, peut aider à faire un pas courageux et surmonter ses limites.
Ainsi, la relation avec le maître aide le disciple à continuer de progresser, en dépit des entraves et des illusions du cœur humain : la peur, l’arrogance, la paresse, etc. Un maître aide son disciple à percevoir et déjouer ces obstacles et à les affronter avec courage. Il offre un modèle, un repère, dans la pratique bouddhique. Pour autant, cela ne veut pas dire que le disciple doive chercher à l’imiter. Mais plutôt, en apprenant de lui, il s’efforce d’appliquer son enseignement dans les conditions et circonstances qui lui sont propres. Il exprime ainsi ses traits de caractères et qualités uniques. C’est en intériorisant l'esprit du maître, et non en singeant son apparence, que le disciple peut se développer, bien au-delà de ce dont il se croyait capable. La relation bouddhique de maître et disciple est une voie courageuse de découverte de soi – elle n’est ni imitation ni assujettissement. Et elle dépend, en définitive, entièrement du disciple.
Un maître authentique
Quels sont donc les critères qui permettent de distinguer un maître bouddhique authentique ?
Le premier est son intention fondamentale, l'idéal auquel il consacre sa vie. Quel est l’idéal le plus élevé ? Dans le bouddhisme de Nichiren, c’est celui d’établir la paix et le bonheur de tous les êtres humains.
De plus, un maître véritable s’efforce, tout au long de sa vie, de continuer à rechercher la vérité et à développer sa sagesse. C’est tout le contraire de l’attitude de quelqu’un qui estime tout savoir et dispense ses connaissances de manière unilatérale. Ce type de personne tendra également à conforter son statut en mystifiant l’enseignement, ou en restreignant l’accès à quelques disciples privilégiés, plutôt que de le partager avec tous.
Au contraire, un maître authentique souhaite profondément être dépassé par ses disciples. Dans le Sûtra du Lotus, cela est reflété par le fait que les bodhisattvas sortis de la terre sont dotés d’une apparence encore plus splendide même que celle leur maître, Shakyamuni. Ce cycle expansif de développement et de transmission entre maîtres et disciples permet à une tradition vivante de croître, tout en s’adaptant aux nouvelles époques et à des contextes différents.
Maîtres et disciples de Soka
Dans le mouvement Soka, c’est le lien profond de maître et disciple – en particulier entre les trois premiers présidents fondateurs – qui a été le moteur du développement continu de l'organisation. Chaque président successif a agi en se fondant sur la vision de son prédécesseur, qu’il a minutieusement développée afin de former un mouvement capable d’accueillir, d’aider et de responsabiliser le plus de personnes possibles, dans toute leur diversité.
Tsunesaburo Makiguchi et son disciple, Josei Toda, furent emprisonnés pour avoir refusé de compromettre l'intégrité des enseignements du bouddhisme, sous la pression du gouvernement militariste japonais durant la guerre.
Puis, après-guerre, le président de la SGI, Daisaku Ikeda, a œuvré en lien étroit avec son maître, Josei Toda, de façon à permettre à des millions de Japonais de transformer positivement leur vie. Il a, à son tour, étendu la vision héritée de ses maîtres et a porté le mouvement au-delà de sa dimension strictement religieuse, pour en faire un mouvement humaniste mondial pour la promotion de la paix, de la culture et de l'éducation.
Il décrit ses actions de toute une vie comme un effort pour éveiller les autres à ce qu’une personne peut accomplir sur la base de l'esprit d’unité de maître et disciple. Il a fréquemment exprimé sa détermination à ouvrir de nouvelles voies sur des questions d’ordre social ou de problématiques planétaires, dans lesquelles pourront s’engager pleinement les disciples des générations futures. « La relation entre le maître et le disciple, écrit-il, peut être comparée à celle entre l'aiguille et le fil à coudre. Le maître est l'aiguille et le disciple est le fil. Pour coudre, l'aiguille ouvre la voie à travers le tissu, mais à la fin elle n’est plus nécessaire : seul le fil demeure et tient le tout ensemble. »5
L'engagement pour le bonheur de toutes les personnes est au cœur du bouddhisme. Mais c’est à travers la relation de maître et disciple – un lien de vie à vie, à travers lequel la détermination d’une personne se transmet à une autre – que cet idéal sort du domaine de la théorie pour devenir une réalité dans la vie des gens.
Adapté de The Oneness of Maître and Disciple, SGI Quarterly, janvier 2010.
- 1. ↑ Cf. SdL-XV, 207-208.
- 2. ↑ Cf. SdL-XXI, 261 : « A ce moment, les bodhisattvas et mahasattvas qui avaient surgi de terre en aussi grand nombre que les particules de poussière d’un millier de mondes et qui se retrouvaient en présence du Bouddha joignirent d’un même cœur les mains, levèrent les yeux vers le visage de l’Honoré et dirent au Bouddha : “Honoré du monde, après l’entrée dans l’extinction du Bouddha, dans les terres où se trouvent les émanations de l’Honoré du monde, comme à l’endroit où le Bouddha est entré dans l’extinction, nous prêcherons ce Sûtra au loin et en tous lieux. (…)”
A ce moment l’Honoré du monde (…) manifesta ses grands pouvoirs surnaturels : il tendit sa longue et large langue vers le haut jusqu’à ce qu’elle atteigne le ciel de Brahma, tout en émettant par tous les pores d’innombrables et incommensurables rayons lumineux qui illuminèrent tous les mondes dans les dix directions. Les autres bouddhas, assis sur leurs trônes de lion sous les nombreux arbres constellés de joyaux firent de même (…). » - 3. ↑ C’est le principe de l’“unité de la personne et de la Loi” (jap.: ninpo ika), désignant la conformité entre la vie d'une personne et l'enseignement qu’elle prône. Au sens premier, cette propriété s’applique au Bouddha. Cependant, l'expression s'est étendue à toute personne qui prêche un enseignement.
- 4. ↑ D. Ikeda, Commentaires des écrits de Nichiren, vol.1, Sur l’atteinte de la bouddhéité en cette vie, Acep, 2012. p. 91.
- 5. ↑ D. Ikeda, La Nouvelle Révolution humaine, vol. 9, chapitre « Jeunes Phénix ».