Zhiyi (538-597), également connu sous le nom honorifique posthume de Grand Maître Tiantai, est le troisième patriarche et fondateur1 de l’école chinoise du Tiantai. Figure éminente du bouddhisme chinois, il a grandement contribué à la diffusion et au développement des enseignements bouddhiques, en formalisant, à partir des sources indiennes, un système doctrinal complet et de nouvelles pratiques. Il a établi la supériorité du Sûtra du Lotus sur tous les autres sûtras.
Nichiren fait son éloge en ces termes :
Vers le milieu du millénaire de la Loi formelle, apparût le Grand Maître Tiantai Zhiyi. (…) [Il] démontrait que les eaux composant les enseignements de tous les mondes des dix directions se jettent, sans que soit perdue la moindre goutte, dans le grand océan du Sûtra du Lotus.
Choisir en fonction du moment (Ecrits, 561)
Et encore :
[Tiantai Zhiyi] expliqua les cinq périodes et les huit enseignements, ainsi que les cent états et les mille facteurs. Il ne réfuta pas seulement les doctrines erronées des quelque cinq cents années précédentes, mais clarifia aussi des points qui n’avaient pas été parfaitement expliqués par les érudits bouddhistes de l’Inde. Le Grand Maître Zhangan déclare : ‟Mêmes les grands érudits de l’Inde n’étaient pas à son niveau. Quant aux maîtres chinois, ils méritent à peine d’être mentionnés. Ce n’est pas là vaine vantardise : la doctrine qu’il enseigna était bien à ce point excellente.”
L’objet de vénération pour observer l’esprit (Ecrits, 358-359)
Une vie consacrée au Sûtra du Lotus
Ses nom et titre viennent du mont Tiantai où il vécut aux époques troublées des dynasties du Nord et du Sud (dynastie Chen) puis sous les Sui.
Il naît à Huarong dans le Jingzhou où son père est le doyen des fonctionnaires du gouvernement de la dynastie Liang. La chute de cette dynastie oblige sa famille à s’exiler. Il perd ses parents peu après et, à l'âge de dix-huit ans, entre dans la vie monacale sous la direction de Huikuang, au temple Guoyan de Changsha.
Il se rend ensuite au mont Daxian où il se consacre à l’étude du Triple Sûtra du Lotus2. A l'âge de vingt-trois ans, il rend visite au célèbre maître bouddhiste Huisi, sur le mont Dasu, et devient son disciple. Au terme d'une pratique intense, on rapporte qu’il atteint l’Eveil grâce au chapitre « Les actes antérieurs du bodhisattva Roi-de-la-médecine » (23e) du Sûtra du Lotus, événement que l’on désigna par la suite comme l’Illumination au mont Dasu.
En 567, après sept années de pratique sous la direction de Huisi, il quitte le mont Dasu et se rend à Jinling, capitale de la dynastie Chen. Il vit au temple Waguan où il enseigne le Sûtra du Lotus et d'autres textes pendant huit ans.
Ses enseignements suscitent controverses et oppositions parmi le clergé. Car ils contredisent la supériorité communément admise de la supériorité du Sûtra du Nirvana et d’autres points de doctrine. Zhiyi se trouve engagé dans de vives polémiques avec ses opposants. Dans le même temps, sa renommée s’étend et il attire de nombreux disciples. Il écrit les Six portes de Dharma au Sublime (ch. Liumiao famen), un traité de méditation. Vers 575 cependant, malgré les signes extérieurs de succès, il déplore le fait que trop peu de personnes comprennent véritablement ses enseignements et se retire sur le mont Tiantai.
En 585, il revient dans la capitale à la demande de l’empereur, pour y poursuivre son enseignement du Sûtra du Lotus. Son principal disciple, Zhangan, couche ses enseignements qui, compilés formeront par la suite les Mots et phrases du Sûtra du Lotus.
En 588, Jinling est attaquée par les Sui. Après la chute de la dynastie Chen, en 591, le futur empereur des Sui, Yang Guang, se dit son disciple et l’invite dans sa ville, à Yangzhou. Il lui fait bâtir un monastère près de sa province natale, pour l’enseignement du Sûtra du Lotus. Les notes de Zhangan prises à cette époque deviendront Signification profonde du Sûtra du Lotus. En 594, il écrit le traité de méditation Grande concentration et pénétration.
En 595, il rédige un commentaire du Sûtra de Vimalakirti. En automne de cette même année, il retourne au mont Tiantai, où il meurt en 597, à l’âge de soixante ans.
En 605, Yang Guang devenu empereur fait bâtir sur le mont Tiantai le monastère souhaité par Zhiyi.
La systématisation des enseignements bouddhiques
Tiantai réfuta les classifications scripturales formulées par les dix principales écoles bouddhiques de son temps qui se basaient sur le Sûtra de la Guirlande de fleurs (jap. Kegon) ou le Sûtra du Nirvana, et il établit la classification des Cinq périodes et Huit enseignements, qui démontre la supériorité du Sûtra du Lotus.
La compilation de ses enseignements les plus importants par son disciple et successeur, Zhangan, forme les trois textes majeurs de l'école Tiantai :
- Mots et phrases du Sûtra du Lotus (ch. Fahua Wenzhu, jap. Hokke Mongu)
Exégèse du Sûtra, en fonction de quatre critères : causes et circonstances, enseignements corollaires, enseignements théorique et essentiel, observation du cœur.3 - Signification profonde du Sûtra du Lotus (ch. Fahua Xuanyi, jap. Hokke Gengi)
Interprétation du titre du Sûtra à la lumière de cinq principes majeurs : le Nom, l’Entité, la Qualité, la Fonction et les Enseignements. - Grande concentration et pénétration (ch. Mohe Zhiguan, jap. Maka Shikan)
Œuvre majeure de Zhiyi, écrite à la fin de sa vie. Il y formule notamment le principe des « Trois mille mondes en un seul instant de vie » (jap. ichinen sanzen) et décrit une pratique d’observation du cœur fondée sur dix objets de méditation et dix sortes de méditation, qui permet de parvenir à l’Illumination.
La formulation des principes profonds du Sûtra du Lotus
L'Unification des Trois Vérités
Dans le Sens profond du Sûtra du Lotus, Tiantai expose le principe de « l'Unification des Trois Vérités », dont le but est de reconnaître et de décrire exactement l’aspect réel des choses et des phénomènes. Les Trois Vérités sont :
- La vérité de la non-substantialité : établit que les phénomènes ne possèdent aucune existence absolue ou fixe en eux-mêmes. Leur vraie nature est un état potentiel qui ne peut être saisi ni comme existence ni comme non-existence. On reconnaît ici le principe de « vacuité », énoncé par Nagarjuna, repris et intégré par Zhiyi.
- La vérité de l’existence temporaire : implique que, bien que toutes choses soient non substantielles par nature, entraînées dans un mouvement de flux constant, elles ont néanmoins une réalité provisoire.
- La vérité de la Voie du milieu : signifie que la vraie nature des phénomènes est à la fois non-substantialité et existence temporaire, mais ne peut être réduite à l’un ou l'autre de ces concepts. Elle se trouve au-delà des mots et des conceptions de l'esprit.
Ces Trois Vérités ne sont pas distinctes et indépendantes les unes des autres, mais forment un tout, chacune des trois possédant les trois.
Trois mille mondes en un seul instant de vie
Dans Grande concentration et pénétration, Zhiyi formule le principe des Trois mille mondes en un seul instant de vie. Trois mille conditions de vie sont présentes, potentiellement, dans chaque moment de la vie d’un être. Chacun peut donc, à tout moment, soit descendre vers les conditions de vie les plus dégradées ; ou bien, à travers des efforts assidus, réaliser l’Éveil dans son existence présente.
Pour aller plus loin...
D. Ikeda, Une histoire du bouddhisme Mahayana - De l'Inde à la Chine, Acep, chap. VII : « Zhiyi (Tiantai) et ses trois écrits majeurs ».
- 1. ↑ Zhiyi s’inscrit dans la lignée du Sûtra du Lotus en Chine, après Huiwen et Huisi (et Nagarjuna, en Inde, parfois considéré comme le premier maître de cette école). Cependant, parce qu'il systématisa à la fois la doctrine et la méthode de pratique fondées sur le Sûtra, il est révéré comme le fondateur de l'école.
- 2. ↑ Le Sûtra du Lotus est habituellement accompagné de deux autres volumes : le Sûtra aux sens infinis et le Sûtra de la méditation sur le bodhisattva Fugen, considérés respectivement comme l'introduction et la conclusion du Sûtra. Ensemble, ces trois volumes sont appelés le « Triple Sûtra du Lotus ».
- 3. ↑ Les quatre critères : causes et circonstances (interprétation des mots et phrase du Sûtra en tenant compte de ce qui amena le Bouddha à les exposer) ; enseignements corollaires (interprétation selon les Quatre enseignements et Cinq périodes) ; enseignements théorique et essentiel (interprétation sous l’angle des deux parties du Sûtra) ; observation du cœur (consiste à percevoir la vérité dans son propre esprit par la pratique de la méditation).