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Parmi les témoignages les plus emblématiques de la possible universalité de l’homme, figure sans aucun doute l’oeuvre du pilote et écrivain français Antoine de Saint-Exupéry, auteur de la mythique histoire du Petit Prince.

On ne se souvient peut-être plus de l’histoire du Petit Prince. On ne l’a peut-être même jamais lue. Mais nous avons tous entendu, au moins une fois : « On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » ou « S’il te plaît, dessine-moi un mouton. » Et pour cause, le chef-d’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) est devenu, dès sa parution en 1946 chez Gallimard, un phénomène mondial de l’édition. Traduit dans toutes les langues, tiré à plus de 80 millions d’exemplaires, Le Petit Prince est aujourd’hui le livre le plus imprimé après la Bible, et son personnage est une icône de renommée internationale.

Le miracle du Petit Prince est d’avoir su outrepasser toutes les différences, en tant individuelles que de civilisations, et d’en avoir extrait, dans un langage universellement compréhensible, l’essence commune à toute l’humanité.

Genèse d’un soleil

Comment un aussi grand humaniste, amoureux de la diversité des peuples, peut-il rester dans la douceur quand un peuple saigne? Quel est le sens de la vie si celle-ci n’est pas guidée par l’amour, l’attention aux autres et par la rencontre ? L’humanité souffre, le couple de Saint-Exupéry se déchire, ses amis aviateurs de l’Aéropostale, Louis Mermoz et Henri Guillaumet, sont morts...

Quand il se lance dans l’écriture du Petit Prince, héros lumineux et tendre, le pilote et écrivain trouve refuge dans les mots pour ne pas céder au désespoir. Il y voit une évasion possible à tous ses soucis. Non pas une fuite, mais plutôt une plongée dans l’innocence qu’il craignait de perdre ; une possible résistance à la guerre...

Une allégorie de la nature humaine

Pour ceux qui n’auraient pas lu Le Petit Prince, disons, pour résumer, que c’est l’histoire d’un petit bonhomme « tout à fait extraordinaire » qui décide de quitter sa minuscule planète pour explorer l’univers. Avant d’atterrir sur la Terre, dernière étape de son voyage, le petit prince fait escale sur sept autres planètes. Il y découvre tour à tour un « Roi », un « Vaniteux », un « Businessman », un « Buveur », un « Allumeur de réverbères », un « Géographe »...

Mais ces habitants ont tous en commun d’être absolument seuls dans leur monde. Le petit garçon aime tant poser des questions, il s’investit sur sa toute petite planète pour ses troisvoltans et son unique rose qu’il aime par-dessus tout. Mais il se retrouve face à des « grandes personnes » cloîtrées dans leurs illusions.

Malgré toute sa curiosité, le petit prince ne parvient pas à dialoguer, au sens d’échanger, parce que ces « grandes personnes » sont totalement hermétiques les unes aux autres. Quandil arrive sur la Terre, seul dans la nuit, au milieu des dunes, le petit prince, au rire brillant comme les étoiles, est désormais empreint d’une grande mélancolie. Sa planète a beau être toute petite, elle semble déjà valoir bien plus que l’univers tout entier. Au fond, le désert est moins un point de l’espace qu’un lieu de solitude, une situation de dessèchement de l’humain. Mais, voilà qu’il y fait la rencontre du narrateur : un aviateur tombé en panne, seul, lui aussi, en plein désert du Sahara.

Ce sont précisément les liens d’amour fraternel, qui vont se tisser entre les deux personnages, qui redonnent toute leur valeur aux relations humaines. C’est ce dépouillement qui fait de chaque goutte d’eau, de chaque souffle de vie, le trésor le plus précieux qui mérite qu’on y engage toute sa vie. La magie de cette histoire, c’est que l’on prend conscience que la seule chose qui compte vraiment, la seule chose qui ravit l’âme, ce sont les liens du coeur. Créer des valeurs, ce n’est plus ne manifester aucun signe de mal-être, de douleur ou de souffrance, c’est être vrai.

La vie est dans le noeud des choses

En regardant ces êtres créer des liens et souffrir de l’absence de l’autre, on comprend que c’est dans le partage que se logent les réjouissances de l’âme. Après avoir appris à connaître et à aimer le petit prince, le renard dit qu’il ne verrait plus jamais les blés pareils, parce que, désormais, ils lui rappelleraient la blondeur de son ami. Dès lors, le lecteur comprend que le bonheur ne réside pas dans les choses, mais dans la relation que nous avons créée avec elles. Car, « on ne connaît que les choses que l’on apprivoise. »1 Et, « tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé ». Si tout un chacun retrouve une part de lui-même dans ce personnage, c’est que nous avons tous fait l’expérience d’être uni à quelqu’un.2

En ressentant combien l’être aimé compte pour nous, nous nous éveillons à l’amour universel. « On ne peut pas dire “nous” si on se sépare », écrit Saint-Exupéry. On ne peut exister dans le monde qu’en y prenant part, et on ne « possède » vraiment une chose qu’en se rendant utile pour elle. Les liens du partage font alors résonner le sens étymologique du mot « connaissance » : naître avec. C’est dans l’échange que nous naissons à nous-même, c’est dans l’action que nous l’exprimons.

Prendre racine dans le domaine du coeur

Connaître l’histoire d’Antoine de Saint-Exupéry nous offre une lecture moins naïve du Petit Prince. Mais la prouesse de l’auteur réside en ce que la simplicité de l’écriture nous ramène toujours à la profondeur des sentiments. Et, site conte regorge de symboles, qui mériteraient tous d’être explicités, il n’en demeure pas moins que nous les ressentons, intuitivement. Le petit prince nous rappelle à l’essentiel. « Il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines. »3 Les choses qui nous sont les plus familières, les plus banales, sont en réalité celles auxquelles nous tenons le plus.

Le Petit Prince met en garde contre cette tragédie pour l’être humain de ne se rendre compte de la valeur d’une chose que lorsqu’il l’a perdue. La forme du conte se prête à cette surprise qui nous extrait de nos habitudes, et nous convie à la joie de chercher l’étonnement. Tout l’enjeu du Petit Prince est de ne pas laisser la cruauté de l’existence ensabler notre coeur d’enfant.

Les critiques s’accordent à voir, dans cet ouvrage, une autobiographie masquée de son auteur. Une chose est sûre, en rédigeant ce conte, Saint-Exupéry a mis toute sa vie au profit d’une oeuvre universelle et a atteint son but : rallier les hommes et revendiquer l’importance du coeur. C’est ce à quoi Daisaku lkeda fait encore et toujours appel quand, dans sa dernière Proposition pour la paix, adressée chaque année à l’ONU, il fait référence à l’humaniste, écrivain et homme d’action Antoine de Saint-Exupéry.


Cap sur la paix n°946, mars 2012.


  • 1. Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Paris, Gallimard, 1946, p. 67.
  • 2. Ibid., p. 74.
  • 3. Lettre à Yvonne de Lestrange, 11 novembre 1926, in : Jean-Pierre Gunéo, La Mémoire du petit prince, Antoine de Saint-Exupéry, Le journal d’une vie, Paris, Edition Jacob Duvernet, 2009, p. 105.