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L'identité, une quête dans laquelle il ne faut pas se fourvoyer. Construite par rapport aux autres, elle se définit trop souvent contre les autres. D’où les crises ou les dérives identitaires qu’un individu ou un groupe peut traverser. La vision bouddhique de l’individu et de son essence peut éclairer notre lanterne sur le chemin d’une vie épanouie.

Des identités uniques et multiples

À la question « Qui êtes-vous ? », que répondez-vous ? Allez-vous décliner vos nom et prénom, et peut-être votre nationalité ? Vous ne vous résumez pourtant pas à cela, même si ces réponses en disent déjà long sur vous et vos origines. Une telle vue réductrice peut être le point de départ de la discrimination et du fondamentalisme. Cela revient à nier toutes les autres dimensions de l’être et nier l’autre dans toutes ses dimensions. Les identités risquent alors de devenir meurtrières comme l’écrit l’auteur libanais Amin Maalouf.1

On n’est pas seulement français ou algérien ou japonais. On n’est pas seulement juif ou musulman ou bouddhiste, jeune, adulte ou âgé, femme ou homme. Chaque personne est unique, mais possède des identités plurielles devant être reconnues. Ainsi, quelqu’un peut très bien être né à Washington, citoyen américain de père soudanais et de mère polonaise, être juif et bouddhiste, homosexuel, démocrate,.. « Notre identité étant nécessairement plurielle, il nous appartient de décider de l’importance relative de ces différentes associations et filiations dans un contexte donné », précise le prix Nobel d’économie Amartya Sen.2

De même, un individu ne doit pas se cantonner dans l’affirmation d’une seule identité. Et l’on ne doit pas l’y enfermer. Quelqu’un qui a été élevé dans une école coranique de Peshawar, même s’il revendique fanatiquement son appartenance à un groupe religieux donné, peut être aussi sunnite, musulman, pachtoune, pakistanais, asiatique. De plus, il a une profession, des relations, des centres d’intérêt, et peut être père de famille. Il est porteur d’une longue histoire. Efforçons-nous de ne pas le percevoir tel qu’il voudrait peut-être être vu. « C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer », nous dit aussi Amin Maalouf.3 Encore faut-il avoir développé un regard bienveillant qui libère l’autre et le valorise, et non un regard accusateur, qui juge.

L’identité ne peut donc se construire sans référence à un autre, à un groupe porteur d’une culture. Etre reconnu, exister dans les yeux d’un autre, d’une communauté ou d’un peuple, tel est le maître mot. D’où l’importance d’une éducation ouverte dans le processus de construction de l’identité. D’où l’importance aussi de l’amour, au sens large. L’usage de la violence est parfois, malheureusement, le seul moyen que trouvent certains pour exister aux yeux des autres. Avoir vu toute son enfance son père combattre avec un fusil pourra peut-être amener un enfant à penser qu’il est normal de vivre ainsi. Il sera convaincu que son identité est celle d’un guerrier ; son destin, la lutte constante avec des ennemis. Il finira par croire que tous ses malheurs sont dus aux étrangers qui viennent manger son pain... Il développera une identité exclusive, et pourra alors se retrouver, une arme à la main, à faire la guerre à des voisins allemands, espagnols, coréens, croates, hutus.,. Cela ne signifie pas qu’il manque d’amour, mais simplement que l’amour reçu est plutôt ethnocentrique.

Il n’y a cependant pas là de fatalisme. L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes. Elle évolue tout au long de l’existence, au gré des rencontres et des expériences, A titre d’exemple, les rapports entre Français et Allemands ont évolué, depuis la guerre. Il en sera de même, on l’espère, entre Israéliens et Palestiniens dans quelques années. L’enfant d’une école coranique de Gaza ou d’une école ultra-orthodoxe de Jérusalem, tout comme celui d’un établissement nantais par exemple, est potentiellement un citoyen du monde.

Notre identité cosmopolite et planétaire

En fonction des époques, des situations ou des menaces, l’accent est mis sur telle ou telle dimension de l’identité. L’homme se définit par son appartenance religieuse si celle-ci est menacée. Face à la mondialisation, il insiste sur ses racines régionales. Quand un pays voisin se fait envahissant, il met en avant la fibre nationaliste. Se disant français en 1930, untel s’affirme plutôt juif vingt ans plus tard. Se disant yougoslave en 1975, untel se déclare bosniaque musulman en 1992...

Aujourd’hui, en ces temps de rencontres des cultures, il est urgent de mettre l’accent sur notre identité planétaire, parce que la planète dans son ensemble est menacée, et, par là, notre identité même d’Homo sapiens (« l’homme qui sait »).

Trois siècles avant notre ère, à la question « Qui êtes-vous ? », le philosophe grec Diogène, originaire de la ville de Sinope (Turquie), répondait : « Je suis citoyen du monde. » Il signifiait par là que tout être humain a une dimension universelle, sans qu’il lui soit nécessaire de renier ses particularités et ses origines. Il ébauchait ainsi le concept de cosmopolitisme (du grec kosmos : univers et de politês : citoyen) repris et développé plus tard par les stoïciens, tel Epictète, puis par Erasme, Kant et bien d’autres.

Souligner cette appartenance, c’est ouvrir la voie à un monde pacifié. Le cosmopolitisme se situe au-delà du multiculturalisme, qui juxtapose les cultures sans réels échanges. Il se situe au-delà de l’universalisme, qui a tendance à imposer ses vues au mépris des particularismes : en France, les guerres de religions ont été déclarées au nom du principe universaliste « Un roi, une religion, une loi ». Le cosmopolitisme est ainsi, pour de nombreux penseurs contemporains, la meilleure réponse à tous les nationalismes, fondamentalismes et autres communautarismes.4

Daisaku Ikeda est, depuis de nombreuses années, l’un de ceux qui promeuvent cette citoyenneté mondiale, tout en insistant sur le fait que la véritable universalité doit être recherchée au sein des particularités. « Nous devons tous admettre que, en tant que membres de la même communauté planétaire, nous avons besoin de la solidarité qui convient aux citoyens d’un même monde », déclare-t-il, en 1984, lors d’une conférence à Shanghai.5 A l’occasion d’une visite en Argentine en 1990, il dessine les traits de l’individu cosmopolite, doté à la fois d’une autonomie personnelle, d’un enracinement local et d’un esprit mondialiste. Il conclut ainsi son discours à l’université de Buenos Aires : « Le monde sans frontières offrira des possibilités extraordinaires pour le cosmopolite. Pour le réaliser, nous devons abandonner les pratiques et les concepts d’exclusion. Au niveau personnel, chaque individu doit comprendre, de manière très concrète, que son propre destin et la survie de la planète sont une seule et même chose. »6

« Sortis de la terre »

Dans son ouvrage La Géographie humaine, Tsunesaburo Makiguchi, premier président de la Soka Gakkai, souligne non seulement l’identité de tous les êtres humains entre eux, mais aussi le lien que chacun entretient avec la planète Terre et ce qui la compose : « Comment pouvons-nous communiquer avec la Terre ? La Terre est notre matrice, la Terre est notre muse, la Terre est notre tombeau, la Terre est notre demeure. (..) [Nous devrions] considérer les gens, les animaux, les arbres, les rivières, les rochers ou les pierres comme nos égaux et prendre conscience que nous avons beaucoup en commun. »7 Au début du XXe siècle, dans un Japon dérivant vers le nationalisme, il définissait ainsi une citoyenneté terrestre, en rappelant notre appartenance à la Terre. Rien d’étonnant à ce que le bouddhisme de Nichiren Daishonin le séduise, quelques années plus tard, La dimension bienveillante et cosmopolite de cet enseignement ne pouvait, en effet, qu’interpeller cet humaniste en perpétuelle recherche.

Nous sommes des poussières d’étoiles, rappelait le célèbre astrophysicien Hubert Reeves, dans son livre du même nom. L’explosion d’une étoile a rejeté dans l’univers des particules élémentaires formant de nouvelles étoiles et planètes. Puis, en un point du globe terrestre, la Vie est apparue avant de se développer et de se disséminer sur toute sa surface. Ces particules élémentaires nous composent. Elles se retrouvent aux quatre coins de l’univers et dans tous les éléments qui nous entourent. Nous portons en nous des éléments de plusieurs millions d’éons. Nous entretenons un lien « viscéral » avec cette Terre que nous foulons tous les jours, qui nous nourrit et nous enveloppe de son atmosphère protectrice.

Le bouddhisme ne s’y est pas trompé. Il postule le principe d’une infinité de terres sur lesquelles des bodhisattvas font le voeu de renaître. Revêtant diverses apparences, se forgeant des identités propres, ils font connaître la Loi bouddhique afin de pacifier ces terres, en vivant des situations variées et souvent difficiles. L’image du bodhisattva sortant de terre, décrite dans le 15e chapitre du Sûtra du Lotus, est à la fois parlante et fondée :

« Tandis que le Bouddha prononçait ces paroles, le sol du milliard de terres du monde saha se mit à trembler et à s’entrouvrir, et au même instant en surgirent d’innombrables milliers, dizaines de milliers, millions de bodhisattvas. Leur corps de couleur dorée arborait les trente-deux traits caractéristiques et diffusaient une lumière d’un éclat sans limite. Jusqu’alors, ils avaient tous résidé dans l’espace vide au-dessous du monde saha, mais le fait d’entendre la voix du bouddha Shakyamuni avait fait surgir de terre ces bodhisattvas. » (SdL-XV, 207)

Dans La Sagesse du Sûtra du Lotus, Daisaku Ikeda commente ce chapitre : «... ils [Les bodhisattvas sortis de la terre] représentent la vérité qui existe au plus profond de chaque vie, la Loi fondamentale de Nam-myoho-renge-kyo. (...) Bien qu’imparfaits, ils débordent de l’état de vie suprême et parfait (la bouddhéité). » Il poursuit plus loin : « Le pouvoir des bodhisattvas sortis de la terre est la force fondamentale que nous possédons tous, en tant qu’êtres humains, de dépasser toutes les différences – qu’elles soient de culture, de race, de sexe ou de position sociale – et de conduire les êtres au bonheur. (..) L’apparition des bodhisattvas sortis de la terre est un événement retentissant, comparable à un tremblement de terre révélant l’immense potentiel de la force vitale sous-jacente. Nous devons perm ettre au monde entier d’en prendre conscience. »

Le bouddhisme enseigne que nous sommes ces bodhisattvas sortis de la terre, citoyens de l’univers. Là se trouve notre identité profonde, essentielle. C’est la conscience de cette identité qui nous procure la force et l’espoir de mener une vie riche et pleinement satisfaisante. La pratique du bouddhisme de Nichiren Daishonin est comme un grand voyage, aventureux, à la recherche de soi. Savoir qui l’on est, n’est-ce pas pouvoir agir avec plus de liberté et d’efficacité ?

 

Tiré de 3e Civ' n°570, p.13.

Nous devons tous admettre que, en tant que membres de la même communauté planétaire, nous avons besoin de la solidarité qui convient aux citoyens d’un même monde.
D. Ikeda

  • 1. Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset, 1998, p.29.
  • 2. Amartya Sen, Identité et violence, Odile Jacob, 2007, p. 11.
  • 3. Amin Maalouf, ibid., note 1.
  • 4. Voir, par exemple, l’économiste libanais Georges Corm, La Question religieuse au XXIe siècle, La Découverte, 2006, p. 193 et suivantes, ou le philosophe d’origine ghanéenne Kwame Appiah, Pour un nouveau cosmopolitisme, Odile Jacob, 2008, pp. 97, 203 et suivantes.
  • 5. Daisaku Ikeda, Un nouvel humanisme, Le Rocher, 1997, p. 145.
  • 6. Ibid., p.254.
  • 7. T. Makiguchi, Jinsei chirigaku, (La Géographie humaine, non traduit en français), pp. 45 et 55, cité dans Citoyens du monde, L’Harmattan, 2004, pp. 62-63.
  • 8. La Sagesse du Sûtra du Lotus, Acep, vol.3, p.60.
  • 9. Ibid., p.62.