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La paix ne peut s'imposer mais se construit par le dialogue, pas à pas. Comment éviter le “dialogue de sourds” et parvenir à une véritable compréhension mutuelle ? La clé tient dans la qualité de notre écoute...

En effet, écouter l'autre avec attention permet non seulement de mieux le comprendre, sans le filtre déformant de nos biais et préjugés internes, mais cette ouverture à l'autre nourrit également notre propre “dialogue intérieur”. Elle nous enrichit et fait évoluer notre point de vue.

Inversement, engager un dialogue sincère commence par s’ouvrir à la multiplicité de nos propres opinions, sentiments et jugements — toutes les « petites voix » intérieures qui nous animent. Cette démarche, empreinte de sincérité, qui suppose que l’on s’accepte tel que l’on est, demande du courage. Mais en recherchant au fond de nous ce qui nous paraît le plus juste, en cherchant à discerner la véritable nature de ces petites voix, nous pouvons construire une conviction authentique et mieux appréhender la subtilité du cœur humain. De là, nous sommes à même d’aborder l’échange de manière plus ouverte et plus confiante.

Dans sa Proposition pour la paix de 20021, Daisaku Ikeda écrit :

C’est la conscience d’un autre, internalisé en soi-même, qui donne vie au dialogue. Un tel dialogue intérieur est le prérequis nécessaire à toute tentative de dialogue extérieur. À moins que ces tentatives ne soient précédées et soutenues par un dialogue intérieur, nous courons le risque de régresser au simple monologue et aux affirmations unilatérales.
Daisaku Ikeda, Proposition pour la paix, 2002.

Avons-nous la capacité de nous représenter le point de vue de l’autre ? De le ressentir comme faisant partie de nous-même ? Cette capacité de reconnaître en soi-même ce qui, jusque-là, nous paraissait extérieur, enrichit notre humanité, en même temps que cela nous permet de véritablement reconnaître l’humanité de l’autre. Cela ne veut pas dire que nous soyons toujours d’accord avec lui, mais que nous ayons suffisamment d’empathie pour comprendre ce qui l’anime.

Rechercher sa propre voie

Pour autant, la cohabitation avec cet « autre, internalisé en soi-même » est parfois tumultueuse ! Nos voix intérieures nous divisent et nous ne savons plus où nous positionner. Le dialogue intérieur devient alors un débat houleux, dans lequel nous engageons tout notre être. Pourtant, c’est à travers ce type de lutte intérieure intense que nous éveillons notre conscience individuelle, trouvons notre propre vérité, pour finalement donner à notre vie une nouvelle orientation décisive.

Le cheminement de Katarina Kruhonja2 illustre bien cela. En 1991, dans le contexte de la guerre des Balkans, cette femme médecin fut à l’initiative d’un puissant mouvement pacifiste, l’ARK, qui permit de fédérer et de coordonner les actions d’une quinzaine d’organisations humanitaires locales. En 1998, elle reçut le Right Livelihood Award.3

Elle témoigne ainsi des débuts de son engagement : « Notre organisation a débuté par une poignée de personnes luttant contre la logique de “guerre totale” qui se répandait alors parmi la population de notre ville assiégée et bombardée, en Croatie. Il semblait n’y avoir aucun autre modèle que “eux ou nous”. Ma priorité, à l’époque, était de rester ouverte et attentive à mon propre dialogue intérieur. Un après-midi, en 1991, je suis finalement parvenue à la décision de ne jamais accepter la violence. Je me souviens clairement, encore aujourd’hui, du sentiment de libération que j’ai éprouvé à ce moment. J’ai commencé alors à rechercher d’autres solutions... »4

Katarina Kruhonja s’est en effet tourmentée un certain temps, tiraillée entre des pulsions destructrices suscitées par la guerre et sa conscience morale, avant de se positionner. Pourtant, en menant cette lutte intérieure, elle est parvenue à la conviction que le dialogue était possible. Elle a également pu comprendre les ressorts profonds qui animent de tels sentiments chez les autres, et, sur cette base, créer le dialogue.

Construire la paix par l'écoute

Ainsi, Katarina et son groupe élaborèrent le Listening Project. Alors que les populations déplacées cherchaient à revenir dans leurs villages, leur objectif était d’empêcher les violences inter-éthniques et de reconstruire la paix, par l’écoute. Ils écoutèrent et recueillirent les témoignages de plus de 2 000 personnes dans diverses zones multi-ethniques détruites par la guerre. Ce travail permit de reconstruire les liens de confiance et de faire collaborer les différentes populations.

Selon Katarina, « une des clés pour construire la paix est d’écouter afin de comprendre ». Elle poursuit : « L’écoute, avec son magnifique potentiel pour créer la paix, doit être basée sur l’attitude de considérer que l’autre sait ce qu’il ressent et ce dont il a besoin, et qu’il est capable de l’exprimer. C’est la manifestation du respect envers la personne. Ecouter est une forme d’échange dans lequel je donne mon temps et toute mon attention, sans jugement ; je pose les questions qui sont importantes non pas pour moi mais pour l’autre — des questions qui l’aideront à exprimer ses émotions réprimées, ré-explorer ses vues et rechercher ses propres solutions. Au lieu d’amener des solutions toutes faites, des conseils, ou de la pitié, j’offre mon acceptation, ma confiance, et mon soutien. Ecouter est un voyage partagé dans lequel nous apprenons à mieux comprendre notre propre situation. C’est une manière de nous libérer de la souffrance, de la honte, de la peur et de la colère. C’est se concentrer sur l’avenir et sur sa capacité d’agir. »5

De même, Daisaku Ikeda affirme : « Ecouter est bénéfique. (...) Permettre à une personne de parler librement de ses difficultés et de sa tristesse résout son problème et, dans bien des cas, elle se sent beaucoup mieux simplement parce qu’on l’a écoutée. »6

Fondé sur notre propre dialogue intérieur, nous pouvons offrir à notre interlocuteur une écoute juste — sans le juger, ni être entièrement happé par lui, ni le pousser dans un rôle de victime. Une telle écoute bienveillante « ôte la souffrance et procure la joie ».7 Cultivons le pouvoir de l’écoute !


Tiré de Cap n°814, 7 septembre 2009. Article fondé sur Listening to Understand, SGI Quarterly, janvier 2007.


  • 1. D. Ikeda, Proposition pour la paix, 2002. Publié dans Le défi de la paix, Ed. du Rocher.
  • 2. Katarina Kruhonja est une spécialiste en médecine nucléaire. Elle a co-fondé le Centre pour la paix, la non-violence et les droits humains à Osijek, Croatie, en 1992 (voir le site web : www.centar-za-mir.hr, en anglais). Elle a reçu le prix Right Livelihood Award en 1998 en reconnaissance de ses efforts pour promouvoir la paix, la démocratie et les droits humains.
  • 3. Voir la page dédiée sur le site Right Livelihood (en anglais)
    Le prix Right Livelihood Award, appelé aussi prix Nobel alternative, distingue et soutient des personnes dont les actions concrètes et exemplaires offrent de véritables réponses aux défis les plus urgents auxquels nous faisons face aujourd’hui.
    Il fut fondé en 1980 par le journaliste suédois Jakob von Uexkull et compte aujourd’hui 133 lauréats dans 57 pays. Jakob von Uexkull trouvait que les catégories du prix Nobel concentraient trop leur champ d’actions sur les pays industrialisés. Par conséquent, le fameux Nobel ne pouvait pas être la réponse adéquate à laquelle faisait face toute l’humanité.
    Il a préféré « distinguer les efforts de ceux qui affrontent directement ces défis [la pollution, les dangers du nucléaire, le non-respect des droits humains, la misère, la surconsommation, etc.) à l’aide de réponses concrètes ». Par conséquent, ce prix ne possède pas de catégories comme le prix Nobel (chimie, médecine, paix, etc.) Il est global, puisque la résolution des problèmes auxquels nous faisons face nécessite une approche globale : quand on se bat pour l’environnement, on se confronte vite à des questions de santé publique, de droits de l’homme et de justice sociale.
    La cérémonie se déroule depuis plus de quinze ans au Parlement suédois, à Stockholm. Il y a au maximum quatre lauréats par an, dont un honoraire. Les autresse partagent la somme de 240 000 dollars qui seront directement investis dans la réussite de leurs projets.
    Wangari Maathai avait reçu le prix Nobel alternatif en 1984, vingt ans avant de recevoir le prix Nobel pour la paix. En 2008, il s’agit de Monika Hauser, pour son travail auprès des femmes ayant subi des violences sexuelles. Son organisation, Medica Hauser, a pu, grâce à cela, se faire connaître et recevoir deux fois plus de dons.
  • 4. K. Kruhonja, Listening to understand, SGI-Quarterly, janvier 2007, p.10.
  • 5. Ibid.
  • 6. D. Ikeda, D&E-novembre 2007, Acep, p.110.
  • 7. « Oter la souffrance, procurer la joie » (jap. bakku-yoraku) est un principe résumant l'essence de la pratique de la compassion bouddhique.