Qu’on l’apprécie ou que l'on y soit indifférent, la poésie s’est voulue l’interprète du cœur humain. Plus qu'un jeu de rimes, elle use des sonorités et des sens pour exprimer les sentiments les plus nuancés, et évoque des images qui résonnent puissamment dans notre imaginaire. Dans sa forme la plus élevée, elle suscite l’intuition des vérités les plus profondes de la vie et fait jaillir en nous courage, espoir et joie de vivre.
Ce n’est pas sans raison que les Grecs voyaient en elle le premier des Arts, et confiaient à leurs poètes la tâche de chanter la grandeur et les exploits des dieux, sous l’inspiration de leurs Muses. Cette vocation de la poésie à être une « passerelle » entre les êtres humains et le monde à la fois intérieur – les passions du cœur – et extérieur – le cosmos et la nature –, se retrouve dans toutes les cultures. « La poésie doit être le miroir terrestre de la Divinité, et réfléchir, par les couleurs, les sons et les rythmes, toutes les beautés de l’univers », écrit ainsi Madame de Staël.1
Un « luxe nécessaire » à la vie
Sans ce lien avec le monde intérieur et extérieur, la vie humaine s’étiole et se meurt. C’est pourquoi « la poésie est un luxe nécessaire ». En suscitant l'espoir, elle permet de transfigurer la réalité lorsque celle-ci se fait trop pesante. Non pas comme une échappatoire, mais comme une sublimation du réel et de ses inévitables vicissitudes – ne serait-ce que l’espace d’un instant. Elle console un cœur meurtri en le reliant aux autres, par le pouvoir de l’empathie. Elle ouvre une fenêtre vers le rêve et l’espoir, par le pouvoir de l’imaginaire. « Sans le rêve, il n'y a pas de poésie possible. Et sans la poésie, il n'y a pas de vie supportable », remarque justement Louis Pasteur Valléry-Radot.
Et c’est bien cette aspiration au beau, au bon et au vrai qui anime le poète. La poésie est la voix qui chante l’espoir et élève l’esprit. Elle est le cri inné de la vie humaine, tel le pleur d’un nouveau-né ou la musique de la nature. Dans des voix aussi ordinaires et spontanées réside la poésie. Nul besoin d’être un esthète ou un intellectuel pour s’y ouvrir. L'esprit poétique n'est pas l'apanage d'une quelconque élite, c’est une sensibilité qui peut naître et grandir dans le cœur de chacun, et s’exprimer dans n’importe quelle activité humaine.
L’esprit poétique brille chez les personnes à l’humanité authentique. En d'autres termes, un poète est celui qui cherche à inspirer le bien latent dans le cœur humain. Ses yeux voient en chaque personne une humanité unique et irremplaçable. Alors que l’esprit d’arrogance cherche à contrôler et à manipuler le monde, l’esprit poétique s’incline avec révérence devant ses mystères…
La lutte du poète
Mais faire briller ce qu'il y a de beau chez l'être humain implique une lutte. La lutte, par exemple, de Paul Éluard sous l’occupation nazie, la lutte de Federico García Lorca contre le franquisme, ou celle de Pablo Neruda contre la dictature chilienne…
Les mots sont alors la meilleure arme – celle de l’esprit, toujours plus puissante que l’épée – pour défendre les êtres humains quand leurs droits sont bafoués. Et l’esprit poétique les emploie pour unir les êtres humains et rassembler tout ce qui est bon et juste. Daisaku Ikeda, poète-lauréat, parle de l'esprit poétique en ces termes : « C’est développer un esprit dépourvu d’égoïsme, altruiste, qui ne recherche pas la renommée ou la fortune personnelle. C’est l’esprit de lutter avec ténacité pour la justice — en dénonçant le mal, en proclamant la vérité et en défendant la cause du peuple. (...) Ceux à qui manquent cette sensibilité poétique, cette profonde empathie pour tous ceux qui les entourent, ne comprennent pas le cœur des autres. Les pays qui n’ont pas cet esprit ne comprennent pas l’esprit de la paix. Sans une telle empathie, la jeunesse finira par perdre son humanité même et l’esprit d’agir avec les autres. »2
Et encore : « Le mot “poète” est synonyme de combattant. Un poète est quelqu’un qui se tient en première ligne dans la bataille pour la jeunesse, le peuple et l’humanité tout entière. »3
Aussi, posséder un véritable esprit poétique, c’est avoir l’amour de l’humanité, aspirer à son bien-être et agir de toutes ses forces en ce sens. C’est croire en l’être humain.
Là où la poésie rejoint le sacré
Les religions en général, et le bouddhisme en particulier, ont eu recours à la poésie pour exprimer le sacré, le divin ou le mystère de la vie, pour tenter de dire ce qui est au-delà des mots. Ici, l'esprit poétique rejoint le sentiment religieux inhérent à l’être humain.
De manière concrète, la forme poétique a été traditionnellement employée pour transmettre des enseignements spirituels, la forme versifiée étant plus facile à mémoriser, en des temps où peu de personnes savaient lire. Ainsi, l’enseignement du bouddhisme exposé dans le Sûtra Lotus est comparable à un long poème épique. L’utilisation de paraboles et de métaphores par le Bouddha montre sa sagesse et sa volonté de toucher le cœur de chaque personne, quels que soient son statut ou ses connaissances. Il utilise la poésie pour rendre son enseignement accessible à l’intuition de chacun.
Ici aussi s’exprime l’esprit poétique, répondant spontanément aux souffrances et aux interrogations les plus profondes des êtres humains. A la lumière du bouddhisme, « chacun est un microcosme. En vivant ici sur Terre, notre souffle même est traversé par les rythmes de l’univers qui s’étend à l’infini au-dessus de nous. Quand des harmonies s’élèvent en résonance entre ce vaste cosmos extérieur et notre cosmos humain interne, la poésie naît. »4
Article adapté, Cap n°766.
- 1. ↑ Madame de Staël, De l’Allemagne (1810)
- 2. ↑ Discours prononcé lors de la première réunion des responsables de la jeunesse du mouvement Soka, le 22 septembre 2007.
- 3. ↑ Forger une solidarité qui transcende les frontières nationales, Discours prononcé par D. Ikeda à l'université de Cheju, Coréee du Sud, le 1er mai 1999. D&E-juillet 1999.
- 4. ↑ D. Ikeda, Être de nouveau reliés au monde, essai paru dans le Japan Times, 12 octobre 2006. S’ouvrir à l’avenir - Essais, L’Harmattan, 2013.