Alors que l’humanité est prise dans un engrenage de problèmes globaux et complexes, la possibilité d’une issue favorable semble de plus en plus difficile à croire.
Face à ce sentiment insidieux d'incertitude, le bouddhisme offre une perspective d’espoir, en soutenant que, puisque les maux de ce monde ont été créés par les êtres humains, il est dans le pouvoir des êtres humains de les résoudre. Le problème et sa solution résident tous deux en nous.
Historiquement, le point de départ du bouddhisme est une confrontation audacieuse et compassionnelle avec la réalité des souffrances de la vie et de la mort. Son impulsion originelle n'est ni de les nier ni de les fuir, mais se caractérise par l’effort de puiser dans les ressources du coeur humain pour jeter la lumière de la sagesse sur la vie et la société. De là résulte une compréhension des causes profondes du malheur des êtres humains, et de ses effets. C'est pourquoi Nichiren Daishonin écrit :
On appelle bouddhas ceux qui sont pleinement éveillés à la nature du bien et du mal, depuis la racine jusqu'aux branches et aux feuilles.
Le kalpa de déclin (L&T-6, 153 ; Ecrits, 1127)
Ignorance, avidité, colère
Le bouddhisme identifie trois impulsions destructrices, appelées les Trois poisons, d'où découlent toutes les illusions et fonctionnements négatifs de la vie :
- L'ignorance (ou stupidité) : le plus fondamental des trois, car il facilite les deux autres. L'ignorance consiste à ignorer (volontairement ou involontairement) la véritable nature de la vie. C'est un aveuglement à la réalité de l'interdépendance – au sens, non simplement de nos liens mutuels, mais du fait que chaque personne est une partie indispensable de la vie dans son ensemble et concentre en elle d'immenses possibilités. Parce qu'elle obscurcit notre sagesse illuminée, l'ignorance est également appelée “obscurité fondamentale”.
- L'avidité : le sentiment d’accomplissement le plus profond réside dans l'expérience de notre nature illuminée (l'état de bouddha) et dans le fait d'agir en accord avec celle-ci. Mais sous l'influence de l’ignorance, nous tendons à rechercher le bonheur dans l'acquisition et la possession de biens matériels, ou de renommée, de pouvoir, etc. Ainsi, l'avidité est l'impulsion incontrôlée de combler de tels désirs à tout prix, même aux dépens d'autrui. Inévitablement, une telle démarche ne peut déboucher que sur la frustration et le malheur, pour soi-même et les autres.
- La colère (ou arrogance) est l'impulsion violente qui surgit de cette même inclinaison égocentrique. Elle ne se manifeste pas seulement au travers d'explosions de colère, mais également à travers le ressentiment, l'envie, l'instinct de rivalité et de domination, la méchanceté, ainsi que tous les fonctionnements destructeurs d'un ego blessé.
Ces Trois poisons sabotent notre bonheur individuel, empêchent notre relation aux autres et bloquent l’épanouissement de notre potentiel créatif unique.
Leur influence délétère va cependant bien au-delà. Émergeant de la vie intérieure des individus, ils s'additionnent pour devenir, au niveau social, la cause des conflits, de l’oppression, de la destruction environnementale et des inégalités indécentes entre les gens. Un texte bouddhique l'exprime ainsi :
La famine est provoquée par l'avidité, les épidémies par l'ignorance, et la guerre par la colère.
Le Roi Rinda
Rediriger et transformer nos pulsions négatives
Dans la perspective du bouddhisme de Nichiren, les Trois poisons sont inhérents à la vie et ne peuvent donc pas être totalement éradiqués. En fait, une approche qui prétendrait y parvenir ne pourrait que favoriser une forme d'hypocrisie. La pratique bouddhique dans la tradition de Nichiren peut être vue comme le processus de transformation continuelle de l'énergie de ces pulsions illusoires et de leur redirection vers la création de valeur.
C'est à travers une lutte spirituelle intense, consistant à orienter continuellement notre vie vers le respect d'autrui et à œuvrer au bien commun, que nous pouvons transcender et transformer les Trois poisons. Au cours de ce processus, l'énergie destructrice de la colère, par exemple, est sublimée pour devenir une force nous permettant de nous dresser contre l'injustice, et de nous protéger nous-mêmes et les autres.
Le dialogue fondé sur le désir sincère de se lier d'amitié avec les autres, dans une attitude de respect et d'encouragement mutuel est une clé puissante dans ce processus de transformation.
En définitive, établir la paix et la sécurité dans notre monde dépend de la transformation intérieure des individus, ou “révolution humaine”. Comme le déclare la Charte de l'UNESCO : « Puisque c’est dans le coeur de l’homme que naît la guerre, c’est dans le cœur de l’homme qu'il faut construire une citadelle de paix. » Le sens de la responsabilité nous poussant à toujours développer notre propre potentiel pour créer le bien autour de nous est la source de l'autodétermination individuelle et d'une transformation plus large de la société.
Traduit du SGI Quarterly, Three Poisons - the Source of the Problem, octobre 2005.