• #Sagesse

Thème pour les réunions du mois de janvier 2013. Pour les réunions de discussion du mois de janvier, nous vous proposons de dialoguer autour de la phrase ci-dessous, commentée par Daisaku Ikeda, et de la table ronde qui suit.

Nous brûlons le bois des désirs terrestres et faisons apparaître le feu de la sagesse et de l’Éveil sous nos yeux.1
Nichiren, OTT, 11.

Commentaires de Daisaku Ikeda

Au lieu de laisser s’exprimer la colère ou la douleur induites en nous par la situation actuelle, sous forme d’actes destructeurs ou nuisibles pour les autres, nous devrions élargir et élever ces sentiments, afin qu’ils nous motivent à agir pour contrer les maux et les menaces pesant sur la société, sources de souffrances pour les autres et pour soi. Le bouddhisme enseigne qu’une telle transformation nous permet de mener une vie qui éclaire la société avec les vertus du courage et de l’espoir.1

Table ronde

Caroline, vice-responsable nationale des jeunes filles. Nichiren parle de « brûler le bois des désirs ». Pourquoi brûle-t-on du bois ? Pour faire un feu. Pour moi, le feu, c’est kosen rufu, un monde éclairé par les valeurs humanistes du bouddhisme. Ce feu permet de « réchauffer » les autres. Le feu, c’est aussi nos victoires, qui inspirent les autres à réaliser, eux aussi, leurs rêves, à aller au bout de ce qu’ils ont décidé. Les désirs sont, pour moi, non pas des buts, mais des moyens qui vont me permettre d’avancer dans un processus de révolution intérieure, de faire un pas de plus vers les autres. L’idée, c’est de toujours utiliser tout ce qui nous arrive pour devenir plus fort, plus encourageant et pouvoir aider les autres d’une manière ou d’une autre.

Récemment, j’ai eu l’occasion de vivre cela. Quand mon père m’a dit qu’il ne parlait plus à son père, cela m’a mise en colère. J’avais envie de lui dire : « C’est de ta faute ! Si tu n.’étais pas comme ci ou comme ça... » Mais je savais que je pouvais me couper de lui et répéter un processus identique. J’ai alors décidé d’utiliser et de transformer ma souffrance, qui est aussi familiale. Avec cette décision, elle ne m’a pas fait sombrer. Je pouvais « élever mes sentiments », ne pas aller dans le sens de la colère, de la guerre... mais plutôt éclairer, voir autrement. Une transformation s’est opérée dans mon coeur. J’ai pu aller chercher une sagesse que je possédais déjà, et je l’ai utilisée. Je ne suis pas restée dans l’attente.

Concrètement, dès que l’occasion s’est présentée, j’ai trouvé une parole encourageante pour mon père, au lieu d’appuyer toujours là où cela fait mal. Je me suis efforcée de lui offrir un sourire, d’être bienveillante avec lui, alors que je n’ai pas toujours envie de l’être.


Geneviève, vice-responsable des femmes de la région lle-de-France-Est. Que signifie « pratiquer pour le bonheur des autres »? Daisaku Ikeda le clarifie bien : « Nous récitons sincèrement Daimoku en pensant: “Cette personne possède également la nature de bouddha. Je vais envoyer Nam-myoho-renge-kyo au pur réservoir de la bouddhéité dans sa vie” »2 J’ai pu l’expérimenter dans le domaine professionnel où les conflits sont fréquents et génèrent parfois de grandes souffrances. « Plus le coeur est petit, plus il y tient de haine. » Ces mots de Victor Hugo sont d’une exactitude redoutable ! Quand les choses ne se passaient pas bien, je désirais surtout apaiser mon angoisse créée par un sentiment d’impuissance. Puis, en pratiquant de plus en plus sincèrement pour le bonheur de chacun, j’ai mieux perçu par empathie chaque situation individuelle et, par conséquent, j’ai su trouver l’attitude et les mots pour encourager. « Il est étonnant de voir comment le fait de se préoccuper sincèrement du bonheur d’un autre peut le toucher et les immenses effets que peut avoir cette sincérité. »3 Petit à petit, j’ai développé une dimension sincèrement altruiste. Et cela m’a apporté une joie énorme. Avant, j’arrivais au travail avec une boule d’angoisse ou beaucoup d’énervement. Avec les années, je m’y suis rendue avec grand plaisir. Je ne me suis plus inquiétée lors d’accrochages. Je sais que je peux transformer, que rien n’est définitif.


Jean-Pierre, responsable des hommes de la région Centre-Atlantique. Désirer contribuer à la paix ou simplement être motivé par des désirs altruistes n’est pas spontané pour tous, et on ne sait pas forcément comment concrétiser ou développer notre altruisme. L’enseignement du bouddhisme nous permet d’éveiller en nous le souci des autres. Josei Toda expliquait que plus notre but est centré sur notre seule personne, plus émotion et raison se contredisent. Par exemple, rencontrer l’âme soeur juste pour passer du bon temps : on peut dire que c’est une approche un peu limitée et on peut constater, par la suite, que si tel aspect de l’être choisi correspond à notre motivation, tel autre convient moins... La raison ne suit pas forcément l’émotion. Josei Toda expliquait que l’objectif de Nichiren – contribuer au bonheur de toute l’humanité – était si élevé, qu’émotion et raison restaient en harmonie. L’émotion est caractérisée par une bienveillance infinie, et la raison, par une sagesse permettant de gérer les situations. Donc, plus nos désirs sont élevés, plus ils alimentent les autres, et plus les effets nous reviennent comme en boomerang.


Caroline. Pour moi, cela signifie ne pas en rester à nos sentiments immédiats (tristesse, colère, douleur, rancune...), mais aller au-delà : se demander comment utiliser ce qui nous arrive et développer de nouvelles capacités, élargir son point de vue. Nos premières réactions « épidermiques » à partir d’une situation conflictuelle sont normales, nous sommes des êtres humains. Mais il s’agit de développer notre capacité à les transformer.


Gaël, vice-responsable de la jeunesse. Il n’empêche que, quand des gens me font souffrir, je ne pense pas naturellement à prier pour leur bonheur ! Alors, comment transcender, élever, élargir ses sentiments, surtout quand la souffrance nous domine ? En utilisant la « boussole » que constituent le socle philosophique du Sûtra du Lotus, du Gosho, et les explications adaptées à notre société, qu’en donne Daisaku Ikeda.

Ce qui en ressort, c’est que l’attitude juste en tant qu’être humain, face à une souffrance provoquée, a priori, par les autres, consiste à avoir cette prière tournée vers eux. Lorsque je fais le pari de l’expérimenter, je m’aperçois que le résultat peut être extraordinaire.

Je viens de vivre cela, dans des relations conflictuelles au sein de mon travail. Un peu à contrepied de ce que mon coeur me dictait, je me suis dit: « J’ai toutes les raisons objectives de les détester mais, quand même, je vais prier pour leur bonheur ! » (rires) Et, finalement, sans même se parler, les relations se sont transformées.

On ne peut pas avoir une prière orientée vers le bonheur de l’autre et continuer à avoir un comportement qui le ferait souffrir. Ainsi, notre attitude se met en cohérence avec notre intention profonde, notre détermination, exprimée dans cette prière. Et, au final, nous nous enrichissons comme le souligne Daisaku Ikeda : « Votre propre transformation en une personne capable de pratiquer, même pour ceux envers qui vous nourrissez des sentiments hostiles, deviendra votre plus grand bienfait. »4


Geneviève. Changer notre regard nous permet de tout transformer. Il y a quelques années, pour la première fois de ma vie, j’ai partagé mon appartement avec une colocataire, mais c’était très difficile à vivre. J’ai d’abord pratiqué pour arriver à la supporter, puis pour arriver à dire ce qui n’allait pas. Et j’y suis arrivée. À la fin du bail, cette personne partie, je me croyais débarrassée du problème !

Peu de temps après, je me suis retrouvée au travail avec une collègue du même profil que ma colocataire ! La vie me resservait le même plat.. Après avoir longuement macéré dans un sentiment d’indignation, j’ai beaucoup pratiqué pour comprendre pourquoi elle se comportait ainsi avec moi. J’ai réalisé qu’elle souffrait beaucoup. Comme je ne pouvais pas lui en parler, tout est passé par la récitation de Nam-myoho-renge-kyo. Plus je ressentais sa souffrance, plus je désirais ardemment qu’elle s’en sorte. Elle savait que je pratiquais le bouddhisme, mais elle était très critique. Un jour, elle s’est trouvée dans une situation vraiment dramatique. Elle est venue me voir et m’a dit : « Geneviève, on va faire ton truc. » Peu à peu elle a révélé d’immenses qualités que j’avais cessé de percevoir lors de notre conflit. Notre maître nous encourage constamment à croire dans la bonté inhérente à chaque personne.


Gaël. Pratiquer pour le bonheur de l’autre est parfois difficilement concevable, notamment lorsqu’on est empli de rancune ou de haine. Il peut être difficile de prier pour une personne qui nous a causé beaucoup de douleur. Comment faire? En fin de compte, prier pour le bonheur d’une personne qui nous fait souffrir revient à prier pour développer notre propre humanité. Cela équivaut donc à prier pour soi.

Cette prière permet de changer son propre coeur, de le « dépolluer », d’y arracher les racines de la haine et de la souffrance. Concevoir ainsi la prière pour le bonheur de l’autre est fondamental. Ce qui se cache derrière cette prière, c’est la possibilité de changer notre coeur, notre vision et, au final, transformer notre souffrance. Par cette prière, je pense que l’on crée aussi les causes pour ne pas générer les mêmes souffrances chez d’autres.

Et, devant l’impossibilité de dialoguer, si l’on pense qu’on peut utiliser la souffrance ressentie face à un mur de silence, on crée une possibilité de renforcer notre vie, de se rendre plus courageux...


Geneviève. J’ai cru plusieurs fois que le dialogue semblait impossible, à cause d’un mur d’incompréhension. Je me suis rendu compte que, au lieu de ressasser ma colère, par des réflexions telles que « Comment peut-il (elle) se comporter ainsi ? », je pouvais réciter Daimoku pour cette personne. Cela m’a permis de croire dans ses qualités que je ne voyais pas, au départ. Finalement, j’ai réalisé que ceux qui m’ont posé problème sont ceux qui m’ont fait le plus avancer. On fait tomber des barrières à l’intérieur de notre coeur, on crée des valeurs ; et, là, naît un sentiment presque jubilatoire, car on sent qu’on est allé dans le sens de la noble mission de bodhisattva. On pourrait dire que la phrase de Gosho : « Nous brûlons le bois des désirs terrestres et faisons apparaître le feu de la sagesse et de l’éveil sous nos yeux » s’apparente au concept bouddhique « Les désirs sont l’illumination » Daisaku Ikeda le traduit dans des termes modernes, dans ses dialogues avec l’astronome Chandra Wickramasinghe5 : « Pour le bouddhisme, les humains sont des êtres qui, en cherchant la liberté au milieu des inévitables contraintes, s’appuient sur les obstacles qu’ils ne peuvent pas éviter et les utilisent comme des tremplins, pour construire un état de vie dans lequel ils se sentent entièrement libres. »


Paru dans Valeurs humaines n°26, janvier 2013.

  • 1 La phrase de Gosho et son commentaire sont tirés de la Proposition pour l’environnement : une Société mondiale durable ; l’apprentissage des responsabilités et de la gouvernance, écrit par Daisaku Ikeda, à l’occasion de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20) en juin 2012 (D&E-septembre 2012, p.10).
  • 2. Commentaires sur Le traité pour ouvrir les yeux, vol.2, p. 73.
  • 3. La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 1, p. 254.
  • 4. Dialogues avec la jeunesse, Acep, p.75.
  • 5. Bouddhisme et science, Ed. L’Harmattan, p. 148.

A lire dans le numéro de Valeurs humaines du mois de décembre 2012.
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