• #Principe philosophique

Les enseignements bouddhiques sont exposés pour les êtres humains, par les êtres humains. Ils prennent vie et se transmettent à travers un réseau de relations dont l'harmonie et la cohésion est de toute première importance.

Nichiren le rappelle fréquemment dans ses écrits. Dans une des lettres à ses disciples, il écrit :

Tous les disciples de Nichiren, moines et laïcs, devraient réciter Nam-myoho-renge-kyo avec la conscience d’être « différents par le corps, un en esprit », en transcendant toute différence entre eux jusqu’à devenir aussi inséparables que les poissons et l’eau dans laquelle ils nagent. Ce lien spirituel est la base de l’héritage de la Loi ultime de la vie et de la mort. Ici réside le vrai but de la propagation du message de Nichiren.
L’héritage de la Loi ultime de la vie et de la mort, Ecrits, p. 218.

Cette lettre a été écrite au moment où la petite communauté de croyants constituée autour de Nichiren faisait face à de graves persécutions perpétrées par le pouvoir féodal. Bien qu’en nombre restreint, Nichiren les encourage, dans un autre écrit, à ne pas perdre espoir :

Si la conscience d’être “différents par le corps, un en esprit” prévalait parmi les êtres humains, ils atteindraient tous leur but. En revanche, s’ils sont “un par le corps, différents par l’esprit”, ils ne pourront rien accomplir de remarquable.
Différents par le corps, un en esprit Ecrits, p. 622.

Une autre image pour illustrer cette cohésion dans la communauté des pratiquants (le sangha) est la comparaison avec les mailles d’un tissu. Les fils verticaux (chaîne) correspondent aux liens entre maître et disciples, tandis que les fils horizontaux (trame) correspondent aux relations de soutien mutuel entre les croyants.

Une conception particulière de l'unité

L’expression “différents par le corps, un en esprit” (itai doshin) utilisée par Nichiren comporte quatre caractères chinois qui décrivent une forme d’unité peu commune à l'époque. Il s'agit d'une unité qui se fonde sur le respect de la diversité et des qualités distinctes de chaque individu (leurs “corps différents”). Ce type d’unité ne peut émerger que si les personnes se considèrent les unes les autres comme uniques et irremplaçables, et s’efforcent de mettre en lumière ce qu’il y a de meilleur en chacune d’elles.

Par contraste, l'expression “différents par le corps, différents en différents” (itai ishin) reflète une situation de désunion totale, alors que “un seul corps, un seul esprit” (dotai doshin) représente une forme d’uniformité coercitive, imposée par une force extérieure, dans laquelle l’individualité est niée. Aucune de ces deux situations ne permet aux gens de manifester leurs caractéristiques particulières.

Le respect de l'autonomie de chaque personne

Ainsi, la mention “un seul esprit (ou cœur)” ne signifie pas l’adhésion à un ensemble de valeurs standardisées ou une manière de pensée uniformisée. Il s’agit plutôt de l’adhésion commune mais profondément individuelle, à un objectif ou un idéal d’envergure. Cette conception offre un modèle de solidarité pour tous ceux qui travaillent à opérer un changement positif dans le monde. Chaque individu a une mission unique qu’il est le seul à pouvoir remplir, une contribution particulière qu'il est le seul à pouvoir faire. Cet esprit de coopération respectueuse et harmonieuse vers un idéal commun constitue le terreau propice à l'émergence des qualités et des talents singuliers de chacun.

Au début des années 40, alors que le Japon était en proie au totalitarisme, le fondateur de la Soka Gakkai, Tsunesaburo Makiguchi, critiquait l'idéologie officielle d'« abnégation personnelle au service du bien public », qui servait de justification pour exiger le sacrifice des personnes ordinaires pour l’effort de guerre. « Le sacrifice de soi est un mensonge, écrivait-il. La voie authentique repose sur la recherche du bonheur pour soi et pour les autres. » Il déclarait que le mouvement bouddhiste Soka aurait pour tâche essentielle de permettre aux individus de développer leurs capacités particulières afin de contribuer à l’épanouissement de la société dans son ensemble.

Tsunesaburo Makiguchi remarquait aussi combien il était ironique que les personnes immorales se regroupent facilement autour de leur intérêt commun pour la richesse et le pouvoir, alors que les personnes de bonne volonté, plus autonomes spirituellement, ont tendance à négliger l’importance de l’unité.

L’Histoire est pleine d’exemples tragiques illustrant la manière dont l'absence d'unité laisse le champ libre à des forces destructrices. Aussi, il apparaît de plus en plus clairement que seul un rassemblement d’individus dévoués à une cause commune nous permettra de relever les défis qui nous attendent à l'avenir.

L’idéal bouddhique de “différents par le corps, un en esprit” propose une perspective d’unité dans la diversité. Il s’agit d'une unité constituée par des personnes autonomes dévouées à un réel travail de réforme intérieure, animés par le souci des autres et par une foi solide en la possibilité d’un avenir meilleur.


Adapté de l'article Many in body, one in mind (itai doshin), paru dans SGI Quarterly, janvier 2005.