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« Un pays est la création de l'homme. Un pays n'est pas seulement de la terre, mais du coeur. Un pays ne peut s'exprimer pleinement que si ses habitants s'expriment. »1

L'être humain est l'acteur principal du changement, comme l'enseigne le bouddhisme du Sûtra du Lotus. Cette citation de Tagore est l'occasion de mieux cerner l'un des aspects de ce processus de transformation, sous l'angle de la liberté d'expression.

Nous vivons dans une ère où les moyens de communication abondent. Mais s'exprimer librement dans toutes les situations du quotidien n'est pas toujours simple. Face à l'autorité, à l'injustice ou au mépris, faire entendre notre voix demande souvent de gagner d'abord sur nos peurs et sur notre manque de confiance.

Du courage de s'exprimer librement...

Nous avons la chance de vivre dans un pays où la liberté d'expression est un droit établi depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. De ce fait, toute personne est libre d'émettre une opinion, positive ou négative, sur un sujet, mais aussi sur une personne physique ou morale, une institution... si toutefois elle ne nuit pas à autrui. Les propos incitant à la haine raciale, diffamatoires et discriminants sont considérés comme des délits, interdits par la loi. Pourtant, bien que jouissant de ce droit d'expression, nous oublions parfois le pouvoir extraordinaire que nous offre cette liberté.

Dans une situation où nous ne pouvons pas exprimer librement ce que nous pensons, ressentons ou croyons, se couper des autres devient un réflexe bien humain. Or, même si nous avons raison, garder une colère sourde ou de la peur ne nous est d'aucun secours. Pour changer la situation, il faut avoir le courage de comprendre ce qui nous affecte réellement et de dépasser nos limites. Avec une telle attitude, même l'opposition la plus virulente devient une opportunité constructive. Il est alors possible de ne pas renoncer aux valeurs que l'on veut défendre, sans pour autant perdre de vue l'humanité de l'autre. Nous ouvrons alors en nous la voie d'une plus grande liberté intérieure.

Cultiver la liberté d'expression commence donc par cultiver sa liberté intérieure et son autonomie. Il existe différents moyens pour avancer sur ce chemin. Ce devrait être en tout cas la fonction de la religion, comme nous le rappelle Daisaku Ikeda: « Au XXIe siècle, la religion doit procurer aux gens la sagesse leur permettant d'être indépendants, de penser et de décider sagement par eux-mêmes comment vivre leur vie. »2.

...au courage d'ouvrir la voie du changement

Gagner en liberté pour nous-même bénéfice automatiquement aux autres. Comme Nichiren Daishonin l'affirme :

C'est par la voix que s'accomplit l'oeuvre du Bouddha.
Nichiren, L&T-III, 44.

Par cette affirmation, il nous invite non seulement à dialoguer, mais aussi à prendre conscience de notre responsabilité en tant qu'être humain doué de parole. Cette responsabilité, c'est celle d'utiliser notre voix pour défendre la dignité de la vie, pour lutter face aux injustices. Car, sans justice, il n'y a pas de paix possible. Daisaku Ikeda observe : « Les paroles calomnieuses et diffamatoires ne relèvent pas de la liberté d'expression, mais bien de la violence verbale. Nous ne devrions pas les laisser passer. Nous sommes dans notre bon droit de corriger de tels mensonges. La démocratie meurt si ce droit disparaît. »3

Avec cette conviction, chacun de nos efforts pour affirmer la dignité humaine peut inspirer les autres dans la même démarche, ouvrant ainsi la voie du changement à une plus grande échelle - à l'image de Tagore, qui s'exprima avec courage pour ses convictions.

Indigné par le sort des castes les plus défavorisées, Tagore consacra une grande partie de sa vie à l'éducation, qu'il concevait comme moyen de « libération des villages des fers de l'impuissance et de l'ignorance » et de « revitalisation par le savoir ». Il utilisa également son art poétique pour défendre la cause des intouchables, ou dalits, écrivant des poèmes et des drames mettant en scène des protagonistes intouchables et appelant les autorités du temple de Gurovayoor à admettre les dalits.


Tiré de Cap sur la paix n° 800, juin 2009.

Bio express

Rabindranath Tagore (6 mai 1861 - 7 août 1941) : Compositeur, écrivain, dramaturge et philosophe indien, il reçoit le prix Nobel de littérature en 1913.

Rabindranath Tagore naît à Calcutta en 1861. Issu d’une famille aristocratique, pratiquante d’un hindouisme moderne et réformateur, il grandit dans un climat où règne une créativité intense, imprégnée de spiritualité. Il épanouit ainsi des talents de conteur, dramaturge, poète, musicien, danseur, philosophe, pédagogue, peintre... Apôtre de l’unité et de la paix entre les hommes, il prône la rencontre des cultures et le rapprochement entre l’Orient et l’Occident.

En 1913, il est le premier non occidental, le premier Asiatique et le premier Indien à recevoir le prix Nobel de Littérature pour son oeuvre poétique, Gitanjali (L’Offrande lyrique) traduite par André Gide.

Romain Rolland rendait hommage à Tagore en ces termes : « Rabindranath Tagore est pour nous le symbole de l’Esprit, de la Lumière et de l’Harmonie – le grand oiseau libre qui plane au milieu des tempêtes – le chant de l’Éternité qu’Ariel joue sur sa harpe d’or, s’élevant au-dessus de la mer des passions déchaînées. »

Proche du peuple et préoccupé par la misère économique, sociale et politique des paysans, Tagore a, en parallèle de son activité littéraire, beaucoup contribué au développement de l'éducation. Il fonde en 1901 l'Université de Visva-Bharati, à Shantiniketan.

Que tous les accents de joie se mêlent dans mon chant suprême - la joie qui fait la terre s'épancher dans l'intempérante profusion de l'herbe ; la joie qui sur le large monde fait danser mort et vie jumelles ; la joie qui précipite la tempête - et alors un rire éveille et secoue toute vie.
Gitanjali - L'offrande lyrique, Poésie Gallimard, Traduction d'André Gide.

  • 1. Rabindranatah Tagore, Of Myself,traduit par Deavadatta Joardar et Joe Writter, Londres, Anvil Press Poetry Ltd., 2006, p.85.
  • 2. La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol.1, p.58.
  • 3. Daisaku Ikeda, D&E - avril 2009, 27.