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Le roi Ashoka* est probablement l'un des plus grands souverains que la Terre ait connu. Dans l'Inde du IIIe siècle av. J.-C., son adhésion au bouddhisme lui a permis d'incarner une révolution humaine courageuse et engagée.

Les historiens se sont longtemps demandé si cet homme avait existé, car il n'était connu qu'au travers de légendes bouddhiques. Or en 1837, James Prinsep, fonctionnaire de l'administration civile de l'empire britannique à Bénarès, réussit à déchiffrer un alphabet jusqu'alors inconnu, et parvient à comprendre le sens d'inscriptions gravées sur deux colonnes de grès rose. Progressivement, de nombreux écrits sur colonnes, sur rochers ou dans des grottes sont découverts et traduits, identifiés comme des édits dictés par le roi Ashoka et gravés aux quatre coins de son immense royaume. On était, enfin, en face de véritables documents historiques.

Un empire guerrier

Pour percevoir toute la valeur d'Ashoka, il faut comprendre dans quel contexte il vécut. A force de conquêtes, son grand-père, Candragupta, a fondé la dynastie des Maurya en vingt-quatre ans de règne. Il s'est constitué un vaste empire comprenant les deux deltas de l'Inde et s'étendant ainsi d'une mer à l'autre. Candragupta dispose de six cent mille fantassins, de trois cent mille cavaliers, de neuf mille éléphants. C'est dans cet environnement de toute puissance familiale qu'Ashoka va naître et grandir.

Son père, Bindusara, était surnommé le tueur (ou dévoreur) des ennemis. Comme tout souverain indien, ambitieux de conquête, il agrandit encore son empire. Il a treize femmes et cent un fils. Ashoka grandit dans ce climat de violence où la vie d'un être humain a peu de valeur. L'économie de cette époque est fondée sur l'esclavage, et chaque nouvelle conquête est l'occasion de déporter des milliers de personnes qui seront autant de main-d'oeuvre.

D'après les chroniques bouddhiques, quand son père meurt, Ashoka fait tuer quatre-vingt-dix-neuf de ses frères, à l'exception de son cadet, Tissa, afin que personne ne lui conteste le trône. Il s'engage à son tour dans les conquêtes et est appelé Ashoka le cruel.

La prise de conscience

On situe son sacre autour de l'an 260 av. J.-C.2 Il semble que, ce jour-là, un cousin, moine, lui parle du bouddhisme. Ashoka s'y intéresse, mais, pris par sa fonction, il n'est pas très assidu. Il ne va rien changer à sa vie fastueuse de monarque. Huit ans après le sacre, il entreprend la conquête d'un puissant royaume voisin, au sud, le Kalinga. Les combats sont d'autant plus rudes que le voisin est puissant. Et, soudain, c'est le choc ! Ashoka parcourt les villes dévastées. Il prend conscience de l'horreur de la guerre : les morts partout, les familles brisées, les amitiés anéanties. Tout ce qui fait la vie quotidienne des humains est irrémédiablement détruit. Il est d'autant plus bouleversé que cent cinquante mille personnes sont déportées, cent mille ont été tuées et bien plus encore sont mortes des suites du conflit. Il en gardera de profonds regrets et n'aura, finalement, pas le coeur d'annexer le Kalinga, dont il fera un protectorat indépendant. Tous ces détails sont gravés dans son édit XIII3, donc lisibles par tous, signe de la sincérité de son repentir.

Un roi bouddhiste et tolérant

A partir de cet événement, Ashoka étudie et pratique sérieusement le bouddhisme. Pour certains historiens, il s'était fait moine. Mais il n'en est rien. Ashoka ne fuit pas sa réalité. Au contraire, déjà, dans l'édit VI, il demande à ses fonctionnaires qu'on le dérange à tout moment et en tout lieu, car il veut le bien de tous, ce qui ne s'obtient pas sans travail ni sans suivre les affaires jusqu'au succès. Par sa pratique et sa foi, un profond changement s'opère en lui. Il va comprendre la valeur de la vie et le respect qui lui est dû. Par exemple, aux frontières de son empire, on trouve de grandes stèles sur lesquelles est gravé un édit destiné aux peuples voisins. Ashoka y exprime qu'ils n'ont rien craindre de lui, qu'il n'a aucune intention belliqueuse à leur égard. Et que, s'ils ont quelque agressivité envers lui, il patientera autant qu'il est possible de le faire. Une véritable déclaration unilatérale de non-agression, en plein IIIe siècle av. J.-C. !

Dans ses édits, Ashoka affirme qu'il est bouddhiste, que tous les êtres sont ses enfants, qu'il veut leur bonheur. Mais on n'y trouve aucun point doctrinal. Car il est le roi de tous. Il veut que toutes les religions prospèrent et il les aide chacune financièrement. Il incite les croyants à bien étudier leur religion et à réfléchir à leur propre comportement en tant qu'humain.

Ashoka fait l'éloge du bouddhisme, il le fait enseigner dans tout son empire, et même diffuser chez les pays voisins jusqu’en Méditerranée et en Afrique. Il veut que chacun en ait connaissance, afin que personne ne passe à côté de cette formidable opportunité de révolution intérieure vers le bonheur.

Il prône le respect de la vie, et demande qu'aucune violence ne soit faite envers les humains ou les animaux. Il décide de montrer l'exemple, en réduisant rigoureusement le nombre d'animaux tués dans les cuisines royales, nombre qu'il ramène bientôt à zéro en devenant végétarien.

Il développe ce qu'il appelle les deux secours médicaux : pour les humains et les animaux. Il fait cultiver des plantes médicinales et les propose aux pays voisins. Il fait connaître la culture de fruits, de légumes et de racines là où ceux-ci font défaut. Le long des routes de son vaste empire, il fait planter des arbres pour abriter hommes et bêtes, creuser des puits et des réserves d'eau pour les abreuver. Il prend soin de tous, concrètement.

Il ne remet pas directement en cause l'esclavage, mais il crée un corps de fonctionnaires chargés de vérifier qu'aucun esclave ne subit de mauvais traitements, et que, dans les harems, les femmes sont bien traitées.

Seul, il fait évoluer les mentalités de toute une époque. Mais, sans cesse, il se lance des défis pour concrétiser son idéal de société. Son cousin, en lui parlant de sa foi, a-t-il imaginé un tel changement chez cet homme ? Ashoka est la preuve du pouvoir de l'état de bouddha inhérent à chaque être humain.


Valeurs humaines, n°29, mars 2013, p. 20-21.


  • (*) Il existe plusieurs transcriptions de son nom : Ashoka, Açoka ou Asoka. En indien, Soka signifie « douleur », et Ashoka « sans douleur ». Le roi fut nommé ainsi car sa mère l'aurait mis en monde sans ressentir aucune douleur.
  • 2. Ce sacre est situé en 268 av. J.-C., dans Bouddhisme, premier millénaire, de D. Ikeda, Ed. du Rocher (aujourd'hui inclus dans Une histoire du bouddhisme Mahayana, De l'Inde la Chine, éd. Indes Savantes).
  • 3. Les édits sont des inscriptions gravées sur des rochers, des grottes ou des colonnes, la demande d'Ashoka, pour diffuser son message à la population et le léguer à la postérité. Un livre magnifique à consulter : Les inscriptions d'Ashoka, par Jules Bloch, éd. Les Belles Lettres, Paris 1950.