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Dans les pays latino-américains, où le problème endémique des travailleurs ruraux se complexifie, le Mouvement des travailleurs sans-terre présente un front uni et ne lâche rien dans sa lutte pour la réforme agraire.

Leurs noms apparaissent dans les média quand leurs luttes et leurs assassinats font l’objet d’articles ou de reportages. Ainsi du Brésil, sont arrivées jusqu’à nous les histoires de Dorothy Stang, missionnaire américaine et soutien des sans-terre (abattue en février 2005) ; José Claudio Ribeiro da Silva et son épouse Marai do Espirito Santo, cueilleurs de châtaignes et défenseurs de la préservation de l'Amazonie (exécutés en mai 2011) ; Adelino Ramos, leader sans-terre (assassiné en mai 2011). Ces activistes, conscients qu’ils pouvaient disparaître d’un jour à l’autre, n’ont pas moins pris la responsabilité de leur engagement jusqu’au bout

De l’indignité à la lutte solidaire

La lutte des laissés-pour-compte de la paysannerie brésilienne trouve ses racines dès le XIXe siècle, dans le partage et la répartition des terres en immenses domaines par la puissance coloniale portugaise. Face à un système demeuré figé, rébellions et tentatives d’organisation se succèdent à différentes étapes de l’histoire du pays. Les plus connues restent la révolte de Canudos, réprimée en 1897 et, plus près de nous, dans les années cinquante, les ligues paysannes.

Lancé au Brésil en 1984, le Mouvement des travailleurs sans-terre (MST) milite pour que les travailleurs ruraux disposent de terres à cultiver et qu’une réforme agraire profonde soit engagée dans un pays où, aujourd’hui encore, 1% des propriétaires terriens possèdent 45% des terres cultivables.

« Occuper, résister, produire » est le mot d’ordre des militants depuis les origines du mouvement Il synthétise les objectifs des actions à entreprendre. La première est de faire pression sur le gouvernement en installant des travailleurs ruraux dans des campements sur des terres non exploitées, détenues par de grands propriétaires. L’étape suivante consiste à engager une action en justice au nom de la réforme agraire et d’aboutir, par expropriation, à l’attribution des assentamentos (terres conquises). Les familles bénéficiaires exploitent chacune de dix à vingt hectares et s’organisent, le plus souvent, en coopératives. Visant, dans un premier temps, l’autosuffisance alimentaire, elles participent à la viabilité de l’agriculture paysanne. Puis la transformation agro-industrielle de leur production devient source de nouveaux revenus et favorise l’investissement collectif et, donc, leur pérennité.

Après vingt-sept années de lutte et la conquête de 7 mifiions d’hectares, 120 milles familles restent en attente de terres dans les acampamentos (campements). 4 millions vivent en dehors de toute structure, tandis que 40 des 195 millions d’habitants du pays souffrent de la faim. Bien que le MST ait permis de réelles avancées et provoqué une prise de conscience nationale sur l’urgence de la situation des sans-terre, la réforme agraire n’est toujours pas inscrite dans les projets du gouvernement brésilien. Très actif dans le pays, le MST dénonce aussi les inégalités agraires par la conduite de manifestations, d’occupations d’organismes publics ou de multinationales et le fauchage de champs d’OGM.

Un des rôles essentiels du MST tient à l’éducation des familles des travailleurs ruraux, de la scolarisation des enfants à l’alphabétisation d’adultes, ainsi qu’à la formation militante des adultes.

David contre Goliath

Dans un Brésil qui a opté, ces dernières décennies, pour un développement agricole agressif tourné vers l’exportation, le mouvement alter-mondjaljste des sans-terre continue de lui opposer résistance et revendications : remise en cause du libre-échange et du modèle de production et de consommation dominant, promotion de l’agriculture paysanne et diversification des cultures, solidarité et investissement collectif, préoccupation environnementale et garantie des conditions de vie des paysans.

Si les classes dominantes brésiliennes déploient, par affleurs, un véritable arsenal politico-médiatique en vue de criminaliser le MST et de l’affaiblir, la violence, sur le terrain, est le fait de grands propriétaires ou d’industriels qui arment des hommes de main. Elle est dirigée directement contre ceux qui représentent, à leurs yeux, une menace immédiate : les paysans sans terre, les syndicalistes et les religieux qui les défendent. Ces crimes restent le plus souvent impunis. Dans le seul Etat du Parà, quelque 8oo militants actifs ont ainsi été assassinés au cours des quarante dernières années : « Selon la Commission pastorale de la terre, les conflits agraires du premier semestre 2009 ont été d’une extrême violence. De janvier à juin, on en a dénombré 366, affectant directement 193 174 personnes, avec un assassinat pour~o conflits en moyenne. En six mois, on a ainsi compté 12 assassinats, 44 tentatives d’homicide, 22 menaces de mort et 6 cas de torture. »1

Mouvement social le plus important du Brésil et de l’Amérique latine, le MST est également emblématique des luttes sociales internationales. Porté par cette dynamique solidaire, ses défis pour enrayer les inégalités en milieu rural sont colossaux. Le constat s’impose : l’alimentation est un enjeu majeur du siècle et la ruée sur les terres arables se fait au détriment du Sud. « Le problème central des pays de l’hémisphère Sud est la faim. Ce que souhaitent les agriculteurs, c’est d’être en condition de produire de la nourriture en quantité et de qualité. C’est pourquoi nous plaidons pour des politiques qui garantissent la souveraineté alimentaire de chaque pays. »2

Le prochain Sommet de la Terre se tiendra à Rio de Janeiro, du 20 au 22 juin prochain. « Une économie verte dans le contexte de l’éradication de la pauvreté » sera un des thèmes de la Conférence des Nations unies. Gageons que les propositions aient, à terme, un impact juste et concret dans la vie des sans-terre du monde entier.


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°20, juin 2012, pp.32-33.

Valeurs humaines est le mensuel des associations Soka du bouddhisme de Nichiren.
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  • 1. www.larevolucionvive.org, octobre 2009. [site fermé]
  • 2. Sur mediapart.fr : interview de Joao Pedro Siedile, membre de la coordination nationale du MST, le 20 juillet 2009.