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Généticien, biologiste, essayiste et philosophe de renom, Albert Jacquard (1925-2013) avait pour préoccupation première la place et le devenir de l'être humain, face aux enjeux majeurs de notre temps.

De la mondialisation des sciences, en passant par la destruction de l’environnement ou le nucléaire, Albert Jacquard ne cesse de s'interroger et d’interroger. Il est animé par une pensée humaniste et visionnaire, destinée a faire apparaître une conscience collective sur ces questions qui nous concernent tous. Certains le considèrent comme l'un des derniers sages de notre temps.

Philosophe engagé

Homme remarquable pour son érudition, mais aussi pour sa générosité, Albert Jacquard est aussi et surtout un homme d’engagement : il n’hesite pas à soutenir l'occupation de l'église Saint-Bernard, à Paris, en 1996, et les sans-papiers en grève de la faim à Lille, en 2007. Il s’engage aux côtés de l'abbé Pierre et du DAL (Droit au logement), demandant pour chaque citoyen un logement décent. Particulièrement révolté par les expulsions, il exprime son émotion face à ces drames humains dans son livre Tentatives de lucidité : « Toute mise à la rue doit être accompagnée d’une solution de relogement. Cela est nécessaire si notre société veut se montrer respectueuse des personnes, ce qui est le fondement de toute éthique. »1 Il est aussi à l'origine de la création de l'association « Droit devant », qui lutte pour assurer le respect de l'égalité des droits des citoyens en situation de précarité.

Éthique et bioéthique

Son rôle d'expert en génétique l’a amené à s’exprimer au sujet des récentes découvertes scientifiques et de leurs implications : « Si la thérapie cellulaire permet de corriger la nature lorsqu'elle abîme les êtres humains, pourquoi hésiter ? »2

Toutefois, il reconnaît que l'enjeu des biotechnologies est souvent économique et il se prononce contre l'exploitation commerciale de l'embryon humain. Il déplore que les recherches soient orientées « vers les domaines où les perspectives de profit sont les plus prometteuses, au détriment des plus démunis », et il cite l'abandon des populations africaines face au sida. Pour lui, l'éthique est le contrepoids indispensable de la technique: « L'humanité perdrait son âme, si elle se contentait d'agir avec le seul objectif l'exploit technique. »3

Citoyenneté

Face aux problèmes de l'exclusion et de la délinquance, Albert Jacquard reconnaît qu’il est nécessaire de renforcer la citoyenneté : « Il faut, comme disait Kant, renforcer le souci qu'a chacun de l'intérêt commune »4, mais aussi se pencher sur les problèmes de l'exclusion et de la précarité : « La citoyenneté est avant tout le résultat d'une intégration sociale, il faut apprendre à coexister, à vivre ensemble, à concilier des conceptions diverses, voire opposées, de l'existence. »5 Il met en avant le rôle joué par l'école : « Il semble que l'on ait oublié que l'école est le lieu où l'on apprend à rencontrer l'autre, à s'enrichir de sa différence et non à la redouter ou en faire une source de hiérarchie. »6

Écologie

Heureux de la prise de conscience de plus en plus grande du public face à la fragilité et à la finitude de notre planète, il constate le peu de pouvoir ou de volonté des politiques : il faudrait des orientations à long terme et une instance mondiale dotée de pouvoirs réels.

Dans une interview du mouvement « Sortir du nucléaire », il qualifie le nucléaire de dangereux, car il organise à terme le suicide de l'humanité. Il préconise de lutter contre le gaspillage et de réfléchir sur la finalité de l'énergie dans nos sociétés développées ; il s’inquiète « des déchets nucléaires qu'on veut enfouir pour un million d'années comme on glisse la poussière sous un tapis. »7

Mondialisation

À propos de la mondialisation, Albert Jacquard constate que l'espace-temps a été modifié pour la première fois au cours de l’histoire : ce qui importe ce n'est plus la distance en kilomètres – aller au bout du monde se compte aujourd'hui en nombre d’heures. D'où notre impression grandissante d'appartenance à un village mondial. Cependant, il constate que trois milliards de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et que quelques centaines, les plus riches, totalisent des revenus supérieurs au milliard d’hommes les plus pauvres. Il voit dans cette mise à l'écart d'une partie de l'humanité une source de conflits futurs : comment imaginer qu’une société puisse être paisible, quand une foule d'hommes et de femmes s'entendent dire qu’ils sont de trop ? Albert Jacquard remarque aussi que le pouvoir des entreprises mondialisées, soumises aux exigences des actionnaires et des financiers, surpasse aujourd’hui celui des États et des politiques, et réduit l'ensemble des peuples au rang de producteurs-consommateurs. C'est, pense-t-il, une menace pour la démocratie même. « C'est au niveau planétaire que cette lutte doit être menée, ce qui nécessite un État plus puissant que les entreprises mondialisées. »8

Il rappelle le rôle positif joué par l'Unesco, tentative d’éducation planétaire.

Il conclut : « Reste à développer tout ce qui n'affecte pas la Terre ; il se trouve – quelle chance ! – que les activités qui nous apportent le plus de satisfaction – la recherche, la création de la beauté, l'éducation, la lutte contre les maladies – se rangent dans cette catégorie. Dans ces domaines, nous pouvons sans limite exiger plus de notre commune humanité. »9


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°12, octobre 2011.
Valeurs humaines est le mensuel des associations Soka du bouddhisme de Nichiren. Abonnement / Achat au numéro

Bio express

Né à Lyon en 1925, Albert Jacquard a mené de front plusieurs carrières : statisticien, haut fonctionnaire, scientifique. Après des études à l’École polytechnique et un diplôme d'ingénieur, il devient rapporteur auprès de la Cour des comptes. Il part ensuite aux États-Unis, il obtient un diplôme de génétique approfondie. Il est nommé expert auprès de l'OMS et directeur adjoint auprès du ministère de la Santé de 1962 à 1964. De 1983 à 1988, il fait partie du Comité consultatif national d’éthique, chargé de donner des avis sur les problèmes engendrés par les progrès de la biologie et de la médecine. Il s’oriente aussi vers la recherche universitaire, et enseigne à l'université de Genève de 1973 à 1981.
Officier de la Légion d’Honneur, commandeur de l'Ordre du mérite, docteur honoris causa de nombreuses universités, Albert Jacquard a reçu de nombreuses distinctions. En 1980, le président Giscard d'Estaing lui décerne le prix de la Fondation de France.

  • 1. Tentatives de lucidité, editions Stock, 2003, p. 163.
  • 2. Nouvelle Petite Philosophie, editions Stock, 2005, p. 25.
  • 3. Ibid.
  • 4. Ibid., p. 49.
  • 5. Ibid.
  • 6. Ibid., p. 41.
  • 7. Voir la brochure L'aberration, sur le site sortirdunucleaire.org, p. 7.
  • 8. Nouvelle Petite Philosophie, p. 150.
  • 9. Le compte à rebours a-t-il commencé ?, éditions Stock, 2009, pp. 113-114.